Faisdu feu dans la cheminée, Je reviens chez nous. S'il fait du soleil à Paris, Il en fait partout ! Je rapporte dans mes bagages, Un goût qui m'était étranger, Moitié dompté, moitié sauvage, C'est l'amour de mon potager. Fais du feu dans la cheminée, Je reviens chez nous. S'il fait du soleil à Paris, Il en fait partout ! (parlé
C'était l'une de ces fins d'après-midi glaciales du mois d'avril. Un dimanche, de préférence. Loin de chez moi, loin du confort de mon salon, du radiateur. Loin du printemps. Ce matin même, on y avait presque cru, au printemps. Puis une pluie finie et pénétrante, têtue, était venue briser nos illusions. "Il est né ce matin, j'ai vu sa mère le lécher, alors je suis remonté à la maison. Je suis repassé vers 5 heures, et j'ai vu qu'il ne bougeait plus. Je l'ai remonté dans le godet du tracteur." Le veau est étendu, la tête en arrière, les yeux révulsés. Il tremble. Pas de réflexe pupillaire, un cœur correct. Même pas douze heures d'âge et déjà en hypothermie. Mon thermomètre se déclenche à Là , il ne s'est pas allumé. "Il est en train de crever de froid, votre veau." Un peu comme moi, mais en pire. Ça, c'est du diagnostic. "Il va me falloir un seau d'eau chaude, très chaude, et des bouillottes, des bidons plein d'eau bouillante, de la paille, ensuite." Il n'est pas déshydraté, mais il est forcément en hypotension, et en hypo-tout, d'ailleurs. Une perf de salé, avec du sucre. J'ajoute des corticoïdes dans le flacon, un antibio, en couverture. Un peu de vitamine E, parce que. Avec un bolus d'hypertonique dans la veine. Quitte ou double. Le gars revient, avec son seau d'eau dans lequel je plonge mon flacon et le serpentin de deux perfuseurs montés en série - pour que le liquide reste le plus longtemps dans l'eau chaude avant d'atteindre sa jugulaire. L'éleveur me regarde comme un veau nouveau-né regarde son premier chat curieux, voire fasciné, mais complètement perdu. Il me le dira, plus tard il n'avait jamais entendu parler de perfusions de sucre. Et mes tuyaux interminables, vissés les uns aux autres ! Système D vétérinaire l'un des charmes du métier. Démerde-toi pour sauver des vies, bricole, trafique, tant que ça marche ! Évidemment, il m'a aussi apporté deux bouteilles d'eau bouillante, comme si 3L d'eau allaient réchauffer un veau de 50kg. Je n'ai rien dit, je les ai posées contre le bébé. De toute façon, je vais avoir 20 minutes à tuer, le temps de passer cette foutue perfusion. Pas trop vite. Si j'arrive à poser l'aiguille dans cette foutue jugulaire de veau en hypotension ! Qui ne réagit même pas, d'ailleurs. Vingt minutes pendant lesquelles je vais expliquer à l'éleveur que les bouillottes, c'est au moins 40 litres. Il doit bien y avoir des bidons qui traînent ? Que les médicaments et les perfusions, c'est sympa,mais qu'il a surtout besoin de chaleur. Que sa mère n'a pas du le lécher tant que ça, qu'il est resté trempé sous cette pluie glaciale, dans la boue, qu'il n'a sans doute pas téter, qu'il est peut-être un peu hypothyroïdien, c'est fréquent dans la région. S'il vit, on lui filera de l'iode et du sélénium. Oui oui, plein de vitamines, ce sera super mais ce n'est pas ça qui le sauvera, monsieur... Vingt minutes au bout desquelles je me relève difficilement, les jambes coupées par la position accroupie. J'ai passé ma perf, le veau a l'air toujours aussi mourant, toujours aussi glacé. Et lui, il me regarde en se frottant les mains. Apparemment, le message du volume des bouillottes n'est pas passé. Trop délicatement suggéré, sans doute, alors j'y vais plus carrément. "A l'intérieur, ce serait bien, aussi. Dans le garage, contre la chaudière, c'est possible ? Ou alors, vous avec un feu allumé ?" Il me regarde avec de grands yeux effrayés, alors que je retourne à ma voiture pour rédiger l'ordonnance inutile indiquant les temps d'attente avant consommation de la viande d'un veau qui va mourir cette nuit. Il attends. "Vous avez un feu allumé ? - Oui, oui, vous voulez un café ?" OK. Je suis fort, je suis un homme, je suis vétérinaire. Je prends le veau dans mes bras. Il pends comme un cadavre, mais un cadavre qui respire. Le poids des corps morts. A mon avis, c'est un nouveau-né de... au moins 100kg ! Les yeux de l'éleveur roulent. Je prends le chemin de la maison, il trottine à mes côtés. Ce veau pèse le poids d'un âne mort, mais, je suis vétérinaire, je suis un homme, je suis fort, je souris l'air de rien, en apnée. Foutue montée ! Cette maison est au moins à 10km ! 500 mètres de dénivelé entre la stabulation et le seuil de la porte ! Deux minutes plus tard, l'éleveur ouvre cette foutue porte d'entrée et se glisse devant moi. Il a l'allure de celui qui subit. Une autre porte. Un véritable sas avant le salon, sa grande cheminée en briques, presque un cantou. J'y pose le veau après avoir balayé le tisonnier avec ma botte boueuse. Il y a un cadavre dans la cheminée de madame. Un cadavre de bovin, en plus. Mais un cadavre qui respire ! "Mais il va crever, oui ! - C'est très probable, madame, et s'il survit, il aura sans doute des séquelles, mais s'il reste dehors, il mourra, il est en hypothermie, il faut le réchauffer, il fait trop froid là -bas." Monsieur a déjà presque disparu sous la table. Une magnifique table en chêne parfaitement cirée, sur une superbe tommette impeccablement entretenue. Un chemin de table sans un pli. Des cuivres rutilants. Une cheminée sans poussière. Des petits chaussons, dans le sas. Les traces de mes bottes boueuses. Un cadavre de veau qui respire dans la cheminée. Je tiens à cette respiration. Et puis, j'aurais mieux fait de passer cette perf' ici, il fait bon. Personne n'ose rien dire. Je profite honteusement de mon aura de véto pour imposer ce nouveau-né ici. Dans cet univers éloigné d'au moins 100km de la stabulation. Au moins. Et je m'éclipse. Il aura survécu, finalement. L'éleveur m'en parle encore. Sa femme, je ne l'ai pas revue, pour le moment. Le veau est resté une nuit au chaud. Sa nièce est passée le soir même, quelques heures après moi. Elle a suggéré de prendre des photos du veau dans la cheminée. Il a refusé pas envie d'avoir des souvenirs d'un veau mort dans sa maison. Il le regrette, maintenant. Le veau a survécu, se porte parfaitement bien, et sans séquelle, s'il-vous-plaît. Ma perfusion de chlorure de sodium additionnée de dextrose et son double serpentin sont devenus célèbres dans le canton. En plus, j'avais mis une vitamine conditionnée avec un colorant rouge, dedans, la couleur rouge, c'est trop classe. Parfois, on réalise de véritables exploits diagnostiques ou chirurgicaux. Personne n'est là pour les apprécier. Et d'autres fois, on bricole un truc avec deux bouts de plastique et on commet l'inconcevable. Franchir une porte avec un veau. Et tout le monde vous en parle. Allez comprendre.
Parolesde Ô traineau dans le ciel par Maryse Letarte. Ô traîneau dans le ciel N′oublie pas l'essentiel Ô traîneau dans le ciel. Des sapins à l′endroit Sur des sapins à l'envers L'eau calme de la rivière Reflète une guirlande de conifères Ton grand cœur se resserre Sous des airs méchants Je me change en pierre Et en guirlande de
Il a neigé à Port au PrinceIl pleut encore à ChamonixOn traverse à gué la GaronneLe ciel est tout bleu à ParisMa mie l'hiver est à l'enversNe t'en retourne pas dehorsLe monde est en chamaille La suite des paroles ci-dessous On gèle au Sud on sue au Nord[Refrain]Fais du feu dans la cheminéeJe reviens chez nousS'il fait du soleil à ParisIl en fait partoutLa Seine a repris ses vingt bergesMalgré les lourdes gibouléesSi j'ai du frimas sur les lèvresC'est que je veille à ses côtésMa mie j'ai le coeur à l'enversLe temps ravive le cerfeuil La suite des paroles ci-dessous Je ne veux pas être tout seulQuand l'hiver tournera de l'oeil[Refrain]Fais du feu dans la cheminée Je reviens chez nousS'il fait du soleil à ParisIl en fait partoutJe rapporte avec mes bagagesUn goût qui m'était étrangerMoitié dompté, moitié sauvageC'est l'amour de mon potager[Refrain]Fais du feu dans la cheminéeJe reviens chez nousS'il fait du soleil à ParisIl en fait partoutLa la la la ... Les internautes qui ont aimé "Fais du feu dans La cheminée" aiment aussi
ParolesIl a neigé à Port-au-Prince Il pleut encore à Chamonix On traverse à gué la Garonne Le ciel est plein bleu à Paris Ma mie l'hiver est à l'envers Ne t'en retourne pas dehors Le monde est en chamaille On gèle au sud, on sue au nord Fais du feu dans la cheminée Je reviens chez nous S'il fait du soleil à Paris Il en fait partout Fais du feu dans la cheminée Je reviens chez nous
Il a neigé à Port-au-PrinceIl pleut encore à ChamonixOn traverse à gué la GaronneLe ciel est plein bleu à Paris Ma mie l’hiver est à l’enversNe t’en retourne pas dehorsLe monde est en chamailleOn gèle au sud, on sue au nord Fais du feu dans la cheminéeJe reviens chez-nousS’il fait du soleil à ParisIl en fait partout La Seine a repris ses vingt bergesMalgré les lourdes gibouléesSi j’ai du frimas sur les lèvresC’est que je veille à ses côtés Ma mie j’ai le cœur à l’enversLe temps ravive le cerfeuilJe ne veux pas être tout seulQuand l’hiver tournera de l’œil Je rapporte avec mes bagagesUn goût qui m’était étrangerMoitié dompté, moitié sauvageC’est l’amour de mon potager Fais du feu dans la cheminéeJe rentre chez moiEt si l’hiver est trop butéOn hibernera
Créezgratuitement votre compte sur Deezer pour écouter Ma cheminée est un théâtre par Claude Nougaro, et accédez à plus de 90 millions de titres.
Il a neigé à Port-au-Prince Il pleut encore à Chamonix On traverse à gué la Garonne Le ciel est plein bleu à Paris Ma mie l′hiver est à l'envers Ne t′en retourne pas dehors Le monde est en chamaille On gèle au sud, on sue au nord Fais du feu dans la cheminée Je reviens chez nous S'il fait du soleil à Paris Il en fait partout La Seine a repris ses vingt berges Malgré les lourdes giboulées Si j'ai du frimas sur les lèvres C′est que je veille à ses côtés Ma mie, j′ai le coeur à l'envers Le temps ravive le cerfeuil Je ne veux pas être tout seul Quand l′hiver tournera de l'oeil Fais du feu dans la cheminée Je reviens chez nous S′il fait du soleil à Paris Il en fait partout Je rapporte avec mes bagages Un goût qui m'était étranger Moitié dompté, moitié sauvage C′est l'amour de mon potager Fais du feu dans la cheminée Je reviens chez nous S'il fait du soleil à Paris Il en fait partout Fais du feu dans la cheminée Je rentre chez moi Et si l′hiver est trop buté On hivernera Writers Jean-pierre Ferland Lyrics powered by
JacquesDutronc "La fille du Père Noël" paroles. Pas besoin de vous faire un dessin. Sur le lit j'ai jeté mon fouet. Et sa beauté m'a rendu muet. Fatigué, j'ai la gueule de bois. Toute la nuit j'avais aidé mon père. Dans la cheminée y avait pas son père. J'étais le fils du Père Fouettard. Je m'appelais Jean Balthazar.
Il a neigé à Port-au-Prince Il pleut encore à Chamonix. On traverse à gué la Garonne Le ciel est plein bleu à Paris. Ma mie, l'hiver est à l'envers Ne t'en retourne pas dehors Le monde est en chamaille On gèle au Sud, on sue au Nord. La suite des paroles ci-dessous Fais du feu dans la cheminée Je reviens chez nous S'il fait du soleil à Paris Il en fait partout. La Seine a repris ses 20 berges Malgré les lourdes giboulées Si j'ai du frimas sur les lèvres C'est que je veille à ses côtés. Ma mie, j'ai le coeur à l'envers Le temps ravive le cerfeuil Je ne veux pas être tout seul Quand l'hiver tournera de l'oeil. La suite des paroles ci-dessous Fais du feu dans la cheminée Je reviens chez nous S'il fait du soleil à Paris Il en fait partout. Je rapporte avec mes bagages Un goût qui m'était étranger Moitié dompté, moitié sauvage C'est l'amour de mon potager. Fais du feu dans la cheminée Je reviens chez nous S'il fait du soleil à Paris Il en fait partout. Fais du feu dans la cheminée Je rentre chez moi Ici l'hiver est trop d'été En hiver me va. Les internautes qui ont aimé "Je Reviens Chez Nous" aiment aussi
Créezgratuitement votre compte sur Deezer pour écouter Fais du feu dans le cheminee par Jacques Douai, et accédez à plus de 90 millions de titres. Jacques Douai. Fais du feu dans le cheminee. Jacques Douai | Durée : 02:22 Auteur : Ferland Jean Pierre. Compositeur : Ferland Jean Pierre . Ce titre est présent dans l'album suivant : 50 ans de chansons de Paris à Montreal
Merci d’indiquer quelle est la source de ce texte. Pour un texte qui provient d’un site, indiquer l’adresse de la page vous avez consulté un fac-similé en ligne, indiquez le lien vers le un livre papier, donnez le maximum d’informations permettant de le retrouver, et au moins Le titre Le ou les auteurs et traducteurs La maison d’édition ou le lieu d’édition pour les livres anciens L’année d’édition le nombre de volumes s’il y en a plus d’un, ou le numéro de volume si le texte provient d’une collection.Dans tous les cas, si vous le pouvez, donnez un lien vers la notice du livre dans le catalogue de la BNF. PersonnagesModifier Pièce en un acte représentée pour la première fois à la Comédie-Royale, le 15 novembre 1908 entrée au répertoire de la Comédie-Française. Le 27 octobre 1941 Personnages Comédie-Royale Lucien MM. Marcel Simon Joseph Lacoste Yvonne Mme A. Cassive Annette G. Chalon Comédie-Française Lucien MM. Pierre Bertin Joseph Fernand Ledoux Yvonne Mmes Madeleine Renaud Annette Catherine Fonteney La chambre à coucher d’YvonneModifier Intérieur modeste, mais avec une recherche d’élégance et de confort ; luxe à bon marché, bibelots gentils mais sans valeur. Au mur, des gravures modernes encadrées, des éventails japonais, etc. Au fond, une porte donnant sur le vestibule. A droite, deuxième plan, une porte dont les battants sont enlevés et remplacés par une portière. A gauche, deuxième plan, en pan coupé, porte donnant dans la chambre de Lucien. A gauche, premier plan, une cheminée surmontée de sa glace. A droite, premier plan, un lit de milieu ; contre le pied du lit, une banquette aussi longue que la largeur du lit. A la tête du lit, côté public, une petite table étagère sur cette table une veilleuse allumée et un flacon de pharmacie ; de l’autre côté du lit, également à la tête, un fauteuil. Contre le pan de mur qui sépare la porte du fond de la porte de gauche, un petit secrétaire de dame, ouvert. A droite du secrétaire, appuyée au mur, une chaise. Près de la cheminée, presque à l’avant-scène et légèrement dos au public, un fauteuil ; sur ce fauteuil, un jupon et une chemise de jour de femme. Sur la cheminée une pendule, des candélabres ; plus à droite, un service-verre d’eau soit une carafe coiffée de son verre sur son plateau à gauche, une boîte d’allumettes et une veilleuse-réchaud, pour faire de la tisane. Contre le mur, à droite de la porte du fond, un canapé. Dans l’encoignure, une petite table placée de biais. Jeté sur le pied du lit, un saut de lit de femme… Par terre, côté public, les pantoufles d’Yvonne sans contreforts ni talons ; de l’autre côté du lit, les pantoufles de Lucien. Au plafond, un lustre actionné par un interrupteur placé à gauche de la porte du fond. Dans le secrétaire, de quoi écrire et quelques cartes-lettres. Scène premièreModifier Yvonne, puis Lucien Au lever du rideau, la scène est dans la pénombre, uniquement éclairée par la veilleuse qui est sur la petite table à droite du lit. Yvonne, couchée dans le lit, dort profondément ; on entend le bruit léger et régulier de sa respiration. Attendre cinq secondes après le lever du rideau et sonner une fois. Yvonne, que cette sonnerie ne réveille pas, mais tout de même troublée légèrement dans son sommeil, pousse un soupir plus long et se tourne un peu sous sa couverture. Compter jusqu’à dix après la première sonnerie, puis sonner à nouveau une fois. Yvonne, qui est couchée sur le côté gauche, presque aussitôt cette sonnerie, ouvre des yeux gonflés de sommeil, soulève un peu la tête, puis. — Qu’est-ce que c’est que ça ? Nouveau coup de sonnette. — Avec humeur. Je parie que c’est Lucien qui a oublié sa clé !… Rejetant ses couvertures. C’est bête de vous donner des palpitations pareilles ! Elle saute du lit ; elle est en chemise de nuit, pieds nus et jambes nues. — Deux coups de sonnette successifs. — Furieuse. Voilà ! Elle saisit son peignoir d’un geste brusque et chausse vivement ses pantoufles. — Sonneries répétées. Mais voilà , quoi ! N’ayant pas le temps d’enfiler son peignoir, elle se le jette autour du cou comme un cachez-nez. Elle gagne ainsi jusque dans le vestibule, puis arrivée à la porte d’entrée qui donne sur le palier, sur un ton bourru Qui est là ? Voix de Lucien, piteuse comme celle d’un enfant en faute qui a peur d’être grondé. — C’est moi ! J’ai oublié ma clé ! Yvonne, dans la vestibule. — Ah ! naturellement ! Tout en ouvrant la porte dont on entend le bruit de serrure. Comme c’est agréable ! Redescendant en scène. Allez ! entre ! Arrivée à l’avant-scène droite, elle grimpe dans son lit ; cela par les genoux, dos au public. Pendant ce temps, Lucien a refermé la porte d’entrée, on l’entend qui assujettit la chaîne de sûreté. Sur le "Allez, entre ! " de sa femme. Lucien paraît il est en costume Louis XIV sous un imperméable fermé jusqu’au cou, et qui ne descend pas plus bas que le bas des hanches. Autour du collet relevé de l’imperméable, un foulard noué. Il a des gants blancs trempés aux mains ses souliers sont crottés et ses bas de même jusqu’au mollet. Tout le dos de l’imperméable n’est qu’une large tache d’eau. A son entrée, il a les mains empêtrées de son bougeoir allumé, de sa canne Louis XIV et de son parapluie. Son épée s’accroche dans la porte quand il franchit le seuil. Yvonne dans le lit. Eh ! bien ? C’est pour demain ? Lucien. — Voilà !… Je te demande pardon ! En ce disant il tourne le commutateur électrique à gauche de la porte, ce qui allume le lustre. Yvonne, avec humeur. — Ah ! tu me demandes pardon ! Tu aurais mieux fait de ne pas oublier ta clé. C’est gai d’être réveillée en sursaut quand on dort. Lucien, sur un ton confus. — Je t’ai réveillée ? Yvonne, sur un ton coupant. — Evidemment, tu m’as réveillée ! Tu ne penses pas que je t’ai attendu jusqu’à cette heure-ci ? Lucien, bien sincèrement, comme soulagé, tout en pivotant pour aller vers la cheminée afin d’y déposer son bougeoir. — Ah ! tant mieux ! Il fait mine de souffler sa bougie, mais s’arrête à la voix d’Yvonne. Yvonne. — Comment, "tant mieux" ! tu es content de m’avoir éveillée ? Lucien. — Mais non ! je dis tant mieux… que tu ne m’aies pas attendu. Il souffle sa bougie, la dépose sur la cheminée, pose sa canne dans l’encoignure de cette dernière, puis, son parapluie entr’ouvert et ruisselant sous le bras, se dirige vers le lit, en secouant ses mains glacées sous ses gants trempés. Yvonne. — Je te demande un peu si c’est une vie de rentrer à cette heure-ci ! Lucien, tout en retirant ses gants. — Je n’ai pas pu trouver de fiacre. Et il fait un temps ! Il n’y avait que des lanternes pour Vaugirard ou Le Château-d’Eau ! On ne trouve jamais les lanternes de son quartier. Yvonne. — Je suis sûre qu’il doit être des heures… !! Lucien, sans conviction. — Oh ! non, il est à peine… A ce moment précis, la pendule de la cheminée se met à sonner quatre coups. Yvonne, lui coupant la parole. — Attends ! Tous deux prêtent l’oreille. Lucien avec une certaine grimace. Une fois les quatre coups sonnés. Yvonne avec un rictus aux lèvres. Quatre heures dix ! Lucien. — Comment, "dix" ! Yvonne, coupante. — Evidemment ! La pendule retarde de dix minutes ! Lucien. — C’est pas possible, elle bat la breloque… Tout à l’heure, quand je suis passé devant la gare Saint-Lazare… Yvonne. — Oui ! Oui ! tu vas me dire qu’il était minuit ! Lucien. — Minuit, non, mais… Yvonne. — Mais si ! mais si ! c’est une chose connue quand les maris découchent, les pendules de leurs femmes battent toujours la breloque… Lucien, allant au lit. — Oh ! que tu es exagérée ! Voilà que je découche, à présent ! S’asseyant sur le pied du lit. Enfin, c’était convenu que je rentrerais tard, puisque j’allais au bal des Quat’ Z’arts ! Je ne pouvais pourtant pas le quitter avant qu’il fût commencé… Yvonne, sur un ton sans réplique. — Tu aurais mieux fait de ne pas y aller du tout !… Est-ce que c’est ta place ! Qu’est-ce qu’ils ont dû penser de toi aux Quat’Z'arts !… en te voyant, toi, un homme marié ! Lucien, qui, depuis son entrée, n’a pas quitté son parapluie, distraitement traçant avec des dessins sur le tapis comme on fait avec une canne sur le sable. — Oh ! je t’assure qu’ils ne se sont pas occupés de moi ! Yvonne, brusquement lui envoyant à travers la couverture un coup de genou dans la hanche. — Mais fais donc attention ! Lucien, que ce coup a fait sauter du lit. — Quoi ? Yvonne, criant. — Ton parapluie ! tu inondes mon tapis ! Lucien. — Moi ! Instinctivement il baisse la tête pour constater le dégât, ce qui fait que du bord de son chapeau s’échappe une rigole d’eau. Yvonne, criant plus fort. — Et ton chapeau !… il dégoutte. Lucien, tout abasourdi, se précipitant vers la porte du fond pour déposer chapeau et parapluie dans le vestibule. — Oh !… Je te demande pardon. Yvonne. — Ne pas même voir qu’il rigole. Lucien, en sortant. — Il a bien de la chance ! Yvonne, rageuse — Oui, oh ! fais de l’esprit ! Lucien a reparu et s’est arrêté, piteux, entre la porte et le secrétaire. Il tire bêtement sur un des bouts de son foulard pour le sortir du collet de son imperméable. Yvonne le considérant avec pitié. Ah ! non, la touche que tu as, comme ça ! Lucien. — C’est la pluie ! Yvonne. — Oui, oh ! tu es joli !… Regarde-moi ces bas !! d’où ça sort-il ? Lucien, piteux. — Du magasin de blanc ! Yvonne. — Ah ! bien ! ils peuvent y retourner ! Ah ! là , là … ! Brusquement Mais enlève donc ton paletot ! tu ne comptes pas coucher avec ! Lucien, décidé à toutes les concessions. — Tu as raison. Il se tourne dos au public et enlève son paletot qu’il dépose sur la chaise à droite de la porte, puis, tirant son épée d’un geste large, il va la ranger contre la cheminée. Yvonne. — C’est vrai ça ! Voyant Lucien qui, redescendu au milieu de la scène a un frisson. — Sur un ton obsédé Qu’est-ce que tu as ? Lucien, fait signe de la tête que ce n’est rien, puis. — J’ai froid. Yvonne, narquoise. — Ah ! T’as froid ! Tu voudrais peut-être que je te plaigne ? Lucien, avec un mouvement d’impatience. — Mais non ! tu me demandes ; alors, je te dis. Yvonne. — Eh ! bien ça t’apprendra à faire la noce ! Voyant Lucien qui s’est approché dos à la cheminée et présente ses mains et, alternativement, chacun de ses pieds au foyer. — Sur un ton de pitié. Qu’est-ce que tu fais dans la cheminée ? Lucien, même jeu, très simplement. — J’essaie de me réchauffer. Yvonne. — Il n’y a pas de feu ! Lucien, répétant machinalement. — Il n’y a pas d… hein ? Jetant un regard sur le foyer. Ah ! oui tiens !… L’habitude, tu sais. Comme quand il y a du feu, c’est là -dedans qu’on le met… alors, inconsciemment… ! Yvonne. — Ssse ! Lucien, d’un ton minable. — Comme c’est peu charitable à toi de m’enlever mes illusions ! Je commençais déjà à me réchauffer. Yvonne. — Ah ! tu te chauffes avec des illusions, toi ? Eh bien ! dorénavant, mon vieux… pour ton feu !… Lucien, agacé, haussant les épaules et remontant au fond. — Ah ! la bada ! Yvonne, revenant à la charge. — Non ! penser qu’on n’est marié que depuis deux ans et que monsieur lâche déjà sa femme pour aller au bal des Quat’-Z’arts ! Lucien, obsédé. — Ecoute, je t’en prie… je suis fatigué, tu me feras une scène demain. Yvonne. — Oh !… je ne te fais pas de scène ! je constate. Lucien, descendant un peu en scène. — Si tu ne comprends pas qu’un homme a besoin, pour ne pas s’encroûter, de tout voir, de tout connaître… pour former son esprit… ! Yvonne, avec un profond dédain. — Oh ! non… ! non ! écoutez-moi ça ! T’es caissier aux Galeries Lafayette ; c’est ça qui peut te servir pour ta profession, de connaître le bal de Quat’-Z’arts ! Lucien, piqué. — Je ne suis pas que caissier ! je suis peintre. Yvonne, haussant les épaules. — T’es peintre ! tu barbouilles. Lucien, vexé. — Je barbouille ! Yvonne. — Absolument ! Tant qu’on ne vend pas, on barbouille. Est-ce que tu vends ? Lucien. — Non, je ne vends pas ! Evidemment, je ne vends pas ! La belle malice ! Je ne vends pas… parce qu’on ne m’achète pas !… sans ça… ! Yvonne. — T’as jamais bien peint qu’une chose ! Lucien, heureux de cette concession. — Ah ! Yvonne. — Ma baignoire… au ripolin. Lucien, vexé, gagnant vers la cheminée. — Oh ! c’est drôle ! Oh ! c’est spirituel. Va, marche ! Revenant vers le lit. N’empêche que je suis plus artiste que tu ne crois ! Aussi, comme artiste, est-il tout naturel que j’aille chercher des sensations d’art. Yvonne. — Allons ! allons ! dis que tu vas chercher des sensations, un point, c’est tout ! Mais ne parle pas d’art ! Lucien, renonçant à discuter. — Ah ! tiens, tu me cours ! Il gagne jusqu’à la cheminée et se met en posture de retirer son jabot devant la glace. Yvonne, rejetant ses couvertures. — Non… mais… Elle saute à bas du lit et, pieds nus, court à Lucien ; puis, après l’avoir fait pivoter face à elle. Non mais cite-m’en donc une, si je te cours ; cite-m’en donc une, de tes sensations d’art ! Lucien. — Mais absolument. Yvonne, sur un ton coupant. — C’est pas une réponse ! Cite-m’en une ! Elle redescend en scène. Lucien, descendant à sa suite. — Je n’ai que le choix… Tiens, par exemple, quand on a fait l’entrée d’Amphitrite. La toisant et avec un sourire un peu dédaigneux. Tu ne sais peut-être pas seulement ce que c’est que l’Amphitrite ? Yvonne. — Oh ! n’est-ce pas ? Je ne sais pas ce que c’est !… C’est une maladie du ventre ! Lucien, ahuri. — Quoi ? Yvonne. — Absolument ! Lucien, pouffant. — Une maladie du ventre ! C’est la déesse de la mer. Yvonne, interloquée. — Ah ?… Acariâtre. Eh ! quoi ! je confonds !… je confonds avec l’entérite. Lucien. — Ça ne se ressemble pas ! Yvonne. — Quoi ! on peut se tromper. Lucien. — Oui, eh bien ! quand le cortège a fait son entrée, ça, ç’a été une sensation d’art ! Un modèle admirable, complètement nu, dans une coquille nacrée, portée par des tritons et des sirènes ! Yvonne, pincée. — Une femme toute nue ! Lucien. — Toute nue. Yvonne. — C’est du propre ! Lucien, très posément. — Eh bien ! justement, c’est ce qui te trompe ! Il n’y avait rien d’inconvenant. Yvonne. — Oui ? Eh bien ! je ferais ça, moi !!… Tout en parlant elle gagne l’avant-scène droite et grimpe dans son lit. Lucien, levant les bras au ciel. — Ah ! parbleu, évidemment, toi… ! c’est bête ce que tu dis. Yvonne, dans son lit et sur son séant. — Enfin, quoi, une chose est inconvenante ou elle ne l’est pas. Lucien. — Elle ne l’est pas quand c’est des modèles !… Et celui-là une ligne !… et des seins, ah !… comme je n’en ai jamais vu ! Il va à la cheminée. Yvonne, faisant une révérence de la tête, puis sur un ton pincé. — Je te remercie. Lucien, se retournant, interloqué. — Quoi ? Yvonne. — T’es encore poli ! Lucien, lève les yeux au ciel, puis. — Allons, bon ! tu vas encore te formaliser. Je ne dis pas ça pour toi ! Evidemment les tiens sont très jolis ! mais enfin… ce ne sont tout de même pas des seins de modèle. Il retourne à la cheminée pour défaire son jabot. Yvonne. — Ah ! vraiment ?… Rejetant ses couvertures et sautant à bas du lit pour foncer sur Lucien. Pendant le trajet, tout en dénouant précipitamment les rubans de sa chemise. Et… et… Arrivée à Lucien ; le faisant pivoter face à elle. et qu’est-ce que tu leur reproches ? Dos au public, et face à Lucien, elle s’est campée devant lui, le devant de sa chemise ouvert et tenu écarté des deux mains. Lucien, absolument ahuri par cette ruée inattendue. — Hein ? Mais, je ne sais pas… Eh bien ! tiens, par exemple, là … Il indique avec ses doigts une place de la poitrine d’Yvonne. Yvonne, lui appliquant une tape sur la main et bondissant en arrière. — Assez ! Je te défends d’y toucher !… Va donc toucher ceux de la dame puisqu’ils sont mieux que les miens ! Lucien. — Oh ! que tu es bête ! Yvonne, revenant à la charge. — Allez ! allez, dis ! qu’est-ce que tu leur reproches ? Lucien, serré entre le chambranle droit de la porte de gauche et Yvonne littéralement collée contre lui. — Oh ! peu de choses !… Même en dessous ils sont très bien ! là , tu vois, je suis juste. Mais au-dessus, dam ! ça creuse un peu ; ça… Yvonne, indignée. — Ça creuse ! Lucien, avec un geste de la main faisant image. — Alors ça les fait légèrement en portemanteau. Yvonne, renouant vivement les rubans de sa chemise. — En portemanteau ! en portemanteau ! C’est trop fort ! Elle saisit vivement Lucien par le bras gauche et l’envoie pivoter au milieu de la scène. Lucien, ne sachant pas ce qui lui arrive. — Non, mais quoi ? Yvonne, qui a ouvert aussitôt la porte ainsi dégagée, appelant. — Annette !… Annette ! Voix d’Anette, tout ensommeillée. — Hoon ? Yvonne. — Annette, levez-vous ! Lucien, étonné. — Annette ? Yvonne. — Vous entendez ce que je vous dis ! Voix d’Anette, accent alsacien. — Matame ? Yvonne. — Allez, houste ! debout. Voix d’Annette. — Oui, matame. Lucien. — Ah ! ça, comment, Annette ? C’est Annette qui est dans ma chambre ? Yvonne, passant devant lui pour aller s’asseoir sur la banquette près du lit. — Eh ! bien ! oui, quoi, Annette ! Oui, Annette. Lucien. — Ah ! bien ! elle est raide, celle-là ! tu fais coucher la bonne dans mon lit, à présent ? Yvonne. — Non, mais tu aurais peut-être voulu que je reste toute seule dans l’appartement pendant que tu allais faire la noce ? Ah ! non, merci ! moi, j’ai peur ! Lucien. — C’est un comble ! la bonne dans mon lit ! Mais où est-ce que je vais coucher, moi, alors ? Yvonne. — Eh ! bien… là ! Elle indique la chambre de gauche. Lucien. — Avec la bonne ? Yvonne. — Quoi ? "la bonne" ? Quoi, "la bonne" ? Maintenant que tu es rentré, Annette montera dans sa chambre et tu reprendras ton lit. Lucien. — Jamais de la vie ! Coucher dans ses draps ! Yvonne. — Mais c’est pas ses draps, c’est les tiens. Lucien. — Mais elle a couché dedans, ça me suffit ! Yvonne, se levant et, tout en parlant, regrimpant dans son lit. — Oh ! naturellement ! S’il s’agissait de coucher dans les draps du modèle tout nu, tu ferais moins le dégoûté… Lucien, légèrement égrillard. — Ben ! tiens ! Yvonne, qui, à genoux sur son lit, s’occupe tout en parlant à secouer ses oreillers, se retournant vers Lucien à ce mot. — Qu’est-ce que je disais ! Rampant sur les genoux jusqu’au milieu du lit T’aimerais mieux ça, hein ? Gagnant de même jusqu’au pied du lit. T’aimerais mieux ça, dis… ? Cochon… ! Elle se recouche. Lucien, excédé. — Oh !… la barbe ! Il gagne jusqu’à la cheminée. Scène IIModifier Les mêmes, Annette Annette, arrivant de gauche. Elle est en tenue de nuit Chemise de grosse toile froncée au-dessus de la poitrine et dans le dos, de façon à laisser un décolleté, et ayant deux petites manches courtes et évasées s’arrêtant aux biceps. Jupon de laine par dessus laissant passer le bas de la chemise. Elle est jambes nues dans des savates de feutre. Ses cheveux, en désordre, sont en bandeaux par devant et sont tenus par derrière par deux nattes serrées qui se redressent en l’air. Elle s’avance ainsi, à moitié endormie, les yeux bouffis de sommeil. Avec un accent exagéré. — C’est mâtâme qui m’temante ? Yvonne, sautant à bas du lit à l’entrée d’Annette et courant à elle. — Oui, venez un peu ! Vous ne savez pas ce que dit monsieur ? Annette, dans un bâillement. — Non, mâtâme. Yvonne. — Il dit que j’ai les seins en portemanteau. Annette, indifférente et endormie. — Ah ?… pien, mâtâme ! Lucien, ironique. — C’est pour lui raconter ça que tu fais lever la bonne ? Yvonne. — Parfaitement, monsieur ! Je veux qu’elle te dise elle-même ce qu’elle en pense, de ma poitrine, pour te prouver que tout le monde n’est pas de ton avis ! A Annette. Qu’est-ce que vous me disiez, l’autre matin, justement à propos de ma poitrine ? Annette, ouvrant péniblement les yeux. — Ché sais pas, mâtâme. Yvonne, appuyant chacun de ses membres de phrase d’une petite tape sur le bras ou la poitrine d’Annette. — Mais si, voyons ! j’étais en train de faire ma toilette ; je vous ai dit "C’est égal, il n’y en a pas beaucoup qui pourraient en montrer d’aussi fermes que ça ! " Qu’est-ce que vous m’avez répondu ? Annette, faisant effort sur soi-même. — Ah ! oui, ch’ai tit "Ça c’est vrai, mâtâme ! quand che vois les miens, à gôté, on dirait teux pésaces ! " Yvonne. — Là ! tu l’entends ? Lucien, saisissant brusquement Annette par le bras droit et la faisant passer. — Eh bien ! quoi ? Quoi ? Qu’est ce que ça prouve ? Je n’ai jamais contesté que tu eusses une gorge rare ; mais entre le rare et l’unique il y a encore une marge. Yvonne, tandis qu’Annette, en attendant la fin de leur discussion, est allée s’asseoir et somnoler sur le siège près de la cheminée. — Ah ! vraiment ? Eh ! bien ! désormais, tu pourras en faire ton deuil de ma gorge ! Lucien, avançant la main pour répondre. — Oui, eh ! ben… Yvonne, se méprenant sur son geste et lui appliquant une tape sur la main. — Pas touche ! Lucien, furieux. — Ah ! là voyons ! Yvonne. — Je la garde pour d’autres !… qui sauront l’apprécier. Elle a gagné l’avant-scène droite et regrimpe dans son lit. Lucien, furieux, arpentant la scène, les deux mains dans les poches de sa culotte. — Eh ! ben, bon ! bien ! ça va bien ! garde-la pour d’autres ! garde-la pour qui tu voudras ! pour le pape, si tu veux ! Ah ! non, non, la patience qu’il faut avoir !… Sans regarder il se laisse tomber sur le siège, près de la cheminée, qu’il croit inoccupé et sur lequel dort Annette. Annette, réveillée en sursaut et poussant un grand cri. — Ah ! Lucien, se redressant d’un bond et furieux. — Eh ! allez vous coucher, Annette ! Annette, maugréant tout en remontant. — C’est pour ça qu’on m’a fait lever ? Lucien, entre le lit et le fond. — Ce n’est pas moi qui vous ai fait lever, c’est madame. Annette. — On aurait aussi pien fait de me laisser dormir ! Yvonne. — Ah ! c’est bien, Annette, n’est-ce pas ? On ne vous demande pas vos réflexions !… Et puis, Annette, qui déjà s’apprêtait à rentrer, s’arrête à la voix d’Yvonne puisque vous êtes debout, vous allez en profiter pour monter dans votre chambre et rendre son lit à monsieur. Annette fait de nouveau mine de sortir et s’arrête comme précédemment à la voix de Lucien. Lucien, impératif. — Du tout ! du tout ! elle l’a pris ; qu’elle le garde ! moi ! je coucherai ici. Yvonne. — Avec moi ? Ah ! non ! Lucien, de même. — Oui, eh bien ! tu coucheras où tu voudras, mais c’est le lit conjugal, et j’y ai droit ! Yvonne. — Soit ? Mais tu sais si tu espères quoi que ce soit… tu te mets le doigt dans l’œil. Lucien, avec un haussement d’épaules. — Ah ! là ! est-ce que je te demande quelque chose ! Il remonte au-dessus du lit sur le bord duquel il s’assied, et, dos au public, se met en devoir de retirer ses chaussures. Yvonne, tout en arrangeant ses couvertures. — Oui, eh bien ! ça se trouve bien ! Lucien, brusquement, à Annette qui dort debout contre le chambranle de la porte de gauche. — Eh ben ! allez vous coucher, vous ! Annette, avec des airs de victime. — Oui, moussié ! Lucien. — Allez, la Joconde ! allez ! Annette. — Quelle boîte. Elle sort en haussant les épaules. Yvonne. — Ah ! non, ce serait trop raide que tu ailles t’exciter sur une autre et que ce soit moi après ça… ! Ah ! non !… Je ne joue pas les doublures, moi ! Lucien, excédé. — Ah ! je t’en prie, hein ? Tu me diras ça demain ; je suis fatigué. Yvonne, s’enfonçant sous les couvertures et dos à Lucien. — Oh ! tu as raison ! au lieu de discuter, je ferais bien mieux de dormir. Lucien. — Eh bien ! c’est ça ! dors ! Yvonne, après un temps, se mettant à demi sur son séant et par-dessus son épaule. — C’est égal ! je ne suis pas fâchée que la bonne t’ait rivé ton clou. Lucien, se dressant, furieux, et de sa pantoufle qu’il tient de la main, désignant la porte du fond. — Ecoute !… tu veux que je m’en aille ? Yvonne, la tête sur l’oreiller et du ton le plus détaché. — Va-t’en si tu veux. Lucien, exaspéré, arpentant la scène, un pied chaussé d’une pantoufle, l’autre non, ce qui lui donne une démarche boitillante. — Oh ! Oh ! Oh !… Revenant au pied du lit. D’abord, qu’est-ce qu’elle sait, la bonne ? Sans s’asseoir et tout en chaussant sa pantoufle. Il est évident que si elle n’a comme point de comparaison que sa poitrine à elle, je t’accorde qu’entre les deux… ! Yvonne, bondissant sur son séant. — Ah ! il te faut l’avis de gens plus compétents ? C’est bien ! Demain nous avons le chef de rayon de la parfumerie des Galeries Lafayette et M. Godot à dîner ; je la leur montrerai, ma gorge ! et ils donneront leur avis. Lucien, scandalisé. — Non, mais tu es folle ? Yvonne. — Pourquoi donc ? Tu dis toi-même que ce n’est pas inconvenant. Lucien, avec force. — Ce n’est pas inconvenant, quand on est toute nue ! Yvonne, du tac au tac. — Eh bien ! je me mettrai toute nue ! Lucien, abasourdi. — Elle est folle ! elle est complètement folle ! Yvonne, entre chair et cuir, tout en se refourrant sous ses couvertures. — Ah ! je les ai en portemanteau ! eh bien ! c’est ce que nous verrons ! Lucien, allant jusqu’au pied du lit et les mains jointes. — Ah ! non, grâce ! grâce ! tu m’abrutis avec tes lardons continuels ! Il remonte entre la porte du fond et le secrétaire. Yvonne, se soulevant à demi et sur un ton dédaigneux. — Eh ben !… couche-toi ! qu’est-ce que tu attends ?… Tu ne comptes pas rester en Roi-Soleil toute la nuit ? Lucien, d’une voix éteinte, tout en se donnant des petits coups du bout des doigts dans le creux de l’estomac. — Non. Yvonne, le considérant avec pitié et sur un ton obsédé. — Qu’est-ce que tu as encore ? Lucien, l’air misérable. — J’ai mal à l’estomac. Yvonne. — Allons bon ! voilà autre chose ! Elle rejette ses couvertures et saute hors du lit. Lucien. — Je voudrais qu’Annette me fasse de la camomille. Yvonne, tout en passant ses pantoufles. — C’est bon ! on va t’en faire de la camomille ! En ce disant elle se dirige vers la porte de gauche. Lucien, s’interposant. — Mais qui est-ce qui te demande de te lever ?… Je peux faire ma commission moi-même. Yvonne, le repoussant. — Oh ! non, non !… Revenant sur lui. je ne veux pas que tu puisses dire que je te laisserais crever !… Non !… Je connais mes devoirs !… et je les remplis !… Moi ! Lucien, sur le même ton qu’Yvonne. — Bon ! Parfait ! c’est très bien ! Il va s’asseoir sur la banquette. Yvonne, allant à la porte de gauche et appelant. — Annette ! Voix excédée d’Annette. — Oh ! Yvonne. — Annette, levez-vous ! Voix d’Annette. — Hein ! Encore ! Yvonne. — Quoi "encore" ? Qui "encore" ! Qu’ça veut dire ça, "encore" ?… Et faites de la camomille à monsieur !… Elle va à la cheminée et, prenant la boîte d’allumettes, en frotte une pour allumer la veilleuse-réchaud ; pendant ce temps on entend la voix d’Annette qui ronchonne dans la coulisse. Lucien, après un moment et sur un ton de ricanement. — Ah non ! ce que tu peux embêter cette fille ! Yvonne, la boîte d’allumettes dans une main, une allumette dans l’autre, se retournant à la remarque de Lucien. — Quoi ?… Ah ! par exemple, ça c’est un comble ! C’est moi qui l’embête ! Allant à Lucien et dans son nez. Dis donc !… Est-ce que c’est, pour moi la camomille ? Hein ? Est-ce que c’est pour moi ? Lucien, presque crié. — C’est mon souper qui n’a pas passé ! Yvonne, sur le même diapason que Lucien. — Mais oui ! c’est toujours la même chose ! Retournant à la cheminée faire sa petite cuisine, allumer la veilleuse et verser de l’eau de la carafe dans le récipient. Voilà ce qu’on nous rapporte à nous les indigestions de ses ripailles extérieures !… On ne trouve pas sa femme suffisante pour ses distractions, mais on la trouve assez bonne pour vous servir de garde-malade ! Lucien, qui n’a pas écouté un mot de toute cette diatribe, uniquement préoccupé qu’il est de son mal d’estomac contre lequel il lutte en se donnant des petits coups du bout des doigts au creux du sternum, — après s’être levé, arrivant dans le dos d’Yvonne. — Dis donc, ma chérie ? Yvonne, sèchement, sans se retourner. — Quoi ? Lucien, lamentable. — Elle sera bientôt prête, la camomille ? Yvonne. — Bien quoi ! laisse le temps !… faut que ça bouille !… tu le sais bien. Lucien, résigné. — Oui. Un temps. Il a un hoquet, puis sur un ton douloureux. Ah ! Yvonne, se retournant à demi. — Quoi ? Lucien, se penchant sur elle et sur un ton dolent. — J’aimerais vomir ! Yvonne, le repoussant brusquement et passant. — Ah ! non ! non ! tu ne vas pas vomir ! Je ne t’ai pas épousé pour ça ! Lucien. — Mais non, voyons ! Je dis "j’aimerais", je n’ai pas dit "je vais". Tu sais très bien que je ne peux jamais. Yvonne, avec mépris. — Oh ! oui, je sais !… Pitié ! Elle regagne son lit dans lequel elle grimpe. Annette, apportant un paquet de camomille et un sucrier. Elle a passé une camisole blanche et mis ses bas qui retombent sur ses chevilles. Tout en mettant des têtes de camomille dans l’eau qui chauffe sur un ton boudeur. — Faut pas encore autre chose pendant qu’on est là ? Yvonne, dans son lit, tout en arrangeant ses couvertures sur soi. — Demandez à monsieur, Annette ! C’est monsieur qui est malade ! Lucien, sur un ton épuisé. — J’ai mal à l’estomac. Annette, même jeu, sans se retourner. — Aussi, si moussié n’était pas allé faire le bôlichinelle dehors !… Lucien, s’emballant. — Ah ! non ! non ! vous n’allez pas aussi vous mettre de la partie, vous, hein ? Annette, d’un air détaché. — Oh ! moi, che dis ça !… Lucien. — Oui ! eh ! bien… allez vous coucher ! Annette, ne se le faisant pas dire deux fois. — Oh ! ça, che veux pien ! Lucien, à Yvonne. — Ah ! non !… Annette, croyant que c’est à elle qu’il parle. — Ah ! si ! Lucien, furieux. — Je parle à madame ! Annette. — Ah ! Elle sort. Lucien. — Ah ! non !… Si les domestiques s’en mêlent à présent ! Yvonne, avec un sourire pincé. — Je ne vois pas pourquoi tu l’attrapes, cette fille. Elle a raison ; si tu n’avais pas été souper !… Lucien. — C’est possible ! mais ça ne la regarde pas ! s’il faut aussi que je lui rende des comptes !… Il s’assied sur la banquette. J’ai été souper parce que j’avais faim, là !… et puis parce que j’étais avec M. Godot et les deux frères Espink qui ont proposé d’aller manger un morceau ; est-ce un crime ? Yvonne. — Non, c’est pas un crime ! Evidemment, c’est pas un crime ! mais c’est idiot de manger jusqu’à se donner une indigestion ! Ce besoin de souper !… Un long temps silencieux, puis sur un ton glacial et dédaigneux. Qu’est-ce qu’a payé ? Lucien, avec un haussement d’épaules. — Personne ! Yvonne. — Comment "personne" ? Lucien. — Enfin, tout le monde ; chacun son écot. Yvonne. — Ça m’étonne que ce ne soit pas toi ! avec ta manie d’ostentation ! Lucien. — Moi ! Yvonne. — Absolument ! tu es rat dans ton ménage ! Mais, du moment qu’il y a des étrangers, alors la folie des grandeurs !… Lucien, se levant et gagnant au fond dans un mouvement arrondi. — Moi ! moi ! j’ai la folie des grandeurs ? C’est admirable ! j’ai la folie des grandeurs ! Yvonne, parlant sur sa réplique. — Mais il n’y a qu’à te voir ! Il n’y a qu’à te voir ! en quoi te déguises-tu ! en Roi-Soleil ! Je te demande un peu ! te mettre en Roi-Soleil… par un temps de pluie ! c’est ridicule ! Lucien, il s’assied sur la chaise qui est à côté du secrétaire. — Ah ! tiens, c’est toi qui es folle ! Yvonne, ne lâchant pas prise. — Seulement, voilà ! ça te flattait de te pavaner en Louis XV ! Lucien, jette un regard de raillerie dédaigneuse sur elle, hausse les épaules, puis sur un ton détaché. — Quatorze ! Yvonne. — Quoi, "Quatorze" ? Lucien. — Le Roi-Soleil, c’était Louis XIV. Yvonne, interloquée. — Ah ?… Se montant. Eh ! bien ! soit ! Louis XIV ! Brusquement. Ah ! C’est bien toi, ça ! tu vas me chicaner pour un Louis et quand il s’agit de ton plaisir, tu n’y regardes pas. Lucien, se levant et tout en gagnant par un mouvement en demi-cercle la banquette sur laquelle il s’assied. — Oh ! exquis ! charmant ! délicieux ! Yvonne, après un temps et sur ce même ton glacial. — Qu’est-ce que tu as dépensé pour ton souper ? Lucien, avec un geste d’impatience — Est-ce que je sais ! Yvonne a un sursaut des épaules, puis se mettant à genoux sur le lit. — Tu ne sais même pas ce que tu as dépensé ! Lucien, lève les yeux au ciel, puis sur un ton obsédé. — Onze francs soixante-quinze, là ! Yvonne, se dressant sur les genoux de toute sa hauteur et les mains agrippées à la barre du pied du lit, scandant chaque syllabe. — Onze francs soixante-quinze, pour de la boustifaille !… Voilà ! Qu’est-ce que je disais ! Changeant de ton. L’autre jour… Lucien, sentant que la scène va s’engager sur un nouveau terrain, agite nerveusement la tête avec les yeux au ciel et au mouvement de ses lèvres on comprend le mot qu’il ne prononce pas. — Oh ! m… ! Il quitte sa place et remonte au fond. Yvonne, qui ne lâche pas prise, tout en sautant à bas du lit, entre les dents. — Quel mufle ! Elle a couru rejoindre Lucien au fond, et le faisant pivoter par le bras de façon à le tourner face à elle. L’autre jour quand j’ai eu le malheur d’acheter un flacon de Rose-Coty, tu m’as dit que je te ruinais ; et toi tu dépenses Scandé. onze francs soixante-quinze pour ton souper ! Mais moi, au moins, mon flacon, je l’ai ! ma Rose-Coty, j’en profite ! tandis que toi, ton souper, où est-il maintenant ? Lucien, avec rage, en se frappant le creux de l’estomac. — Mais là ! là ! Yvonne, le lâchant pour retourner à son lit et regrimper dedans. — Ah ! "là ! là ! " Tu es bien avancé ! Comme si tu n’aurais pas mieux fait de les mettre de côté, ces onze francs soixante-quinze !… pour payer le tapissier, tiens ! Lucien, qui s’est assis, pendant ce qui précède, sur la chaise à côté du secrétaire. — Je lui dois huit cents francs ; tu ne me vois pas lui offrant onze francs soixante-quinze ! Yvonne. — Au moins, tu lui aurais prouvé ta bonne volonté ! Si je te parle de lui, c’est qu’il est venu aujourd’hui. Lucien, dressant l’oreille. — Ah ? Yvonne. — Et il a déclaré qu’il en avait assez d’être lanterné… et que si tu ne lui versais pas un fort acompte, eh ! bien ! il était décidé à t’envoyer du papier timbré ; et ça, aux Galeries Lafayette ! Tu vois comme ça fera bon effet. Lucien, se levant et descendant en scène. — Il a dit ça ? Yvonne - Oui. Lucien. — Ah ! il fait du chantage ! Dans la direction de la porte du fond, comme s’il parlait au tapissier. C’est bien, monsieur !… A Yvonne. Je comptais lui faire un versement… Yvonne, implacable. — Quand ? Lucien, interloqué. — Euh !… quand j’aurais pu ! mais, puisque c’est comme ça ! il peut se brosser. Yvonne, martelant chaque syllabe et les mains au ciel. — Et tu vas dépenser onze francs soixante-quinze à ton souper ! Lucien, qui est remonté au-dessus du lit, — sortant hors de ses gonds. — Ah ! non, toi, fous-moi la paix avec mon souper. Yvonne, ne lâchant pas prise. — Non, vrai, à ta place, je l’aurais sur l’estomac ! Lucien, dans le nez de sa femme. — Mais je l’ai, nom de D… ! Je l’ai ! Yvonne, criant aussi fort que lui. — Ah ! et puis ne crie pas comme ça ! C’est vrai, ça ! Voilà une heure que tu m’éreintes avec tes discussions ! Lucien, descendant en scène. — Ah ! non, ça c’est le bouquet ! C’est moi qui discute ! c’est moi qui l’éreinte ! Yvonne. — Tu ne veux pas dormir, non ? Lucien, revenant au-dessus du lit. — Oh ! si, dormir ! dormir ! je tombe de sommeil ! Yvonne, lui tournant le dos et s’enfonçant sous les couvertures. — Eh bien ! moi aussi ! bonsoir ! Lucien, sur le même ton. — Bonsoir ! Yvonne. — Et flûte ! Lucien, s’asseyant sur le pied du lit. — Et flûte ! Yvonne, à Lucien qui, en s’asseyant sur le lit, s’est en même temps assis sur sa cheville, lui envoyant un coup de pied à travers la couverture. — Mon pied, voyons ! Lucien, furieux. — Eh ! ton pied, voyons ! Posant son pied gauche sur la barre du pied du lit afin d’avoir son genou à hauteur de sa main pour défaire la jarretière de sa culotte. Ah ! se coucher ! Il dénoue la jarretière, puis. On ne me ferait pas sortir pour un boulet de canon ! Un temps. Soudain un coup de timbre dans le vestibule. Un instant, Lucien et Yvonne demeurent sur place, comme médusés. — Nouveau coup de timbre. — Yvonne soulève lentement la tête et se mettant sur son séant regarde Lucien avec anxiété. Lucien, lui, retire lentement sa jambe de la barre du lit et se contournant complètement à gauche, jette un regard interrogateur à Yvonne. Yvonne, après ce jeu de scène, d’une voix étranglée. — Qu’est-ce que c’est que ça ? Lucien, de la même voix étranglée. — Je ne sais pas !… C’est la porte d’entrée. Nouveau coup de timbre qui les fait sursauter. Yvonne, bondissant sur son séant. — Ah ! mon Dieu ! Lucien. — Ça ne doit pas être une visite. Yvonne. — Pour qu’on sonne à cette heure-ci, ça ne peut être que quelque chose de grave. Lucien, affolé. — Oui. Nouveau coup de timbre. Yvonne, sautant hors du lit et tout en enfilant ses pantoufles. — Encore ! Ah ! Lucien, Lucien, j’ai peur… Elle saisit son peignoir sur le pied du lit. Lucien, aussi troublé qu’elle. — Allons ! allons ! de l’énergie, que diable !! Il ne faut pas se laisser abattre. Yvonne, affolée, allant de droite et de gauche, comme quelqu’un qui ne sait pas ce qu’il cherche. — Ah ! tu en parles à ton aise ! toi, tu es un homme, mais moi !… Sonnerie. Oh ! Lucien, tournant et retournant sur place. — Quelle tuile encore ? Quelle tuile ? Yvonne. — Mais où est-il, enfin ? Où est-il ? Lucien. — Qui ? Yvonne, agitant de grands bras. — Mais mon peignoir ! Où ai-je fourré mon peignoir ? Lucien. — Mais tu le tiens à la main ! Yvonne. — Ah ! oui ! Nouvelles sonneries répétées. Tous eux. — Oh ! Yvonne, esquissant le geste de passer son peignoir. — Ah ! cette sonnerie me rendra folle !… Lucien, indiquant la chambre de gauche. — Et l’autre, là , Annette ! qui ne bouge pas ! Il court à la chambre. Yvonne, renonçant à passer son peignoir et courant rejoindre Lucien. — Oh ! cette fille ! Tous les deux, sur le pas de la porte, lui au-dessus, elle côté public. — Annette ! Annette ! Voix d’Annette. — Hoon ! Yvonne. — Vite, levez-vous ! Voix d’Annette. — Hein ! encore ! Nouvelle sonnerie. Yvonne. — Mais dépêchez-vous donc, voyons ! Lucien. — Vous n’entendez pas qu’on sonne ? . Voix larmoyante d’Annette. — Ah ! non, non, on veut me faire gréver. Yvonne, gagnant au-dessus de la banquette. — Pourvu qu’il ne soit pas arrivé quelque chose dans la famille ! Lucien, près de la cheminée. — Mais non, voyons ! tu finiras pas nous donner le trac. Yvonne, déposant vivement son peignoir sur le lit et saisissant la banquette sur laquelle elle tape en parlant. — Ah ! touche du bois ! touche du bois ! Lucien. — Tu comprends bien que si vraiment… Yvonne. — Touche du bois, je te dis ! Lucien, ahuri. — Oui ! Tu comprends bien que si… Yvonne. — Mais touche donc du bois, voyons ! Lucien. — Oui ! Sans savoir ce qu’il fait, il touche trois fois le marbre de la cheminée qui est à portée de sa main. Yvonne. — Mais pas ça, voyons, c’est du marbre ! Lucien. — Ah ! tu m’ahuris ! Il va toucher le secrétaire. Yvonne. — Avec la paume ! avec la paume ! Lucien, obéissant machinalement. — Avec la paume. Yvonne. — Ah ! tu seras cause d’un malheur ! Nouvelle sonnerie prolongée. Yvonne bondissant vers la porte de gauche. Mais qu’est-ce qu’elle fait, cette Annette ? Lucien, y allant également. — Ah ! çà , allez-vous vous grouiller ? Au moment où Annette paraît, ils la saisissent chacun par un bras et la poussent devant eux. Annette, revenant sur eux et chaque fois repoussée par Lucien et Yvonne dans la direction de la porte du fond, ce qui la fait en quelque sorte tourner comme un toton. Avec des pleurs de rage dans la voix. — Oh ! non, ch’en ai assez, moi ! Matame me paiera mon livre, che veux m’en aller. Tous deux, à bout de patience. — Oui, oui ! ça va bien ! allez ! allez ! Tout ceci les uns sur les autres. Annette. — Je ne veux pas grever à la peine. Sonnerie. Lucien. — Voulez-vous allez ouvrir ! espèce de tête carrée. Yvonne. — Mais allez donc ! mais allez donc ! Annette, poussée vers le vestibule. — Oui, mais on me paiera mon livre ! Lucien. — Oh ! cette bonne ! cette bonne ! Annette est hors de scène. Lucien est à droite de la porte du fond et Yvonne à gauche. Annette, dans le vestibule. — Qui c’est-y qu’c'est qu’est là ? Voix du Valet de chambre, au lointain. — Joseph ! le nouveau valet de chambre de la mère de madame. Yvonne, d’une voix stridente. — De maman ! Il est arrivé quelque chose à maman ! il est arrivé quelque chose à maman ! Lucien. — Mais ne crie donc pas comme ça, toi ! ne crie donc pas comme ça ! Pendant cet échange de dialogue, bruit de chaîne de sûreté et de porte qu’on ouvre. Scène IIIModifier Les mêmes, Joseph A peine Joseph a-t-il paru qu’Yvonne le happe à son entrée et descend avec lui jusqu’à l’avant-scène. Joseph est en pantalon et gilet d’habit avec son veston d’après-midi et un cache-nez de laine autour du cou ; il tient un chapeau melon à la main. Annette, peu après cette entrée, le temps de refermer la porte du vestibule, reparaîtra en scène et descendra près de la cheminée. Yvonne, avant qu’il n’ait le temps de parler. — Qu’est-ce qui est arrivé à maman ? Qu’est-ce qui est arrivé à maman ? Joseph, très embarrassé et la tête basse. — Mon Dieu, madame… Dans sa gêne, il détourne la tête du côte de Lucien qu’il n’a pas eu le temps de voir à son entrée. Son regard tombe ainsi sur les jambes de Lucien, remonte étonné le long du corps de Lucien, puis, ne pouvant réprimer un cri étouffé de surprise à la vue de cet homme en Louis XIV. Ah ! Lucien, jetant instinctivement un regard sur son propre costume. — Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? Eh ! répondez, voyons, au lieu de regarder mon costume ! il n’a rien d’extraordinaire. Yvonne, à Joseph. — Un accident ? Joseph, la tête basse ; tout en faisant tourner machinalement son chapeau entre ses mains, vivement. — Oh ! non… Yvonne, respirant. — Ah ! Lucien. — Là , tu vois, pas d’accident ! Joseph, même jeu, mais hésitant. — Seulement… elle ne va pas bien… Yvonne, avec angoisse. — Maman ne va pas bien ? Quoi ? Qu’est-ce qu’elle a ? Joseph, même jeu. — Ben., elle est malade. Yvonne, osant à peine questionner. — Oh ! mon Dieu ?… Très ? Joseph, même jeu. — Ben… plutôt ! Yvonne, passant pour se réfugier dans les bras de Lucien. — Lucien !… Lucien !… maman est malade. Lucien. — Allons, voyons ! Yvonne. — Maman est très malade ! Lucien. — Voyons ! voyons ! Joseph, même jeu. — Et, quand je dis très malade, c’est une façon de parler ; parce que, à vrai dire, elle est plutôt… elle est plutôt… Yvonne, la gorge serrée. — Quoi, quoi ? Qu’est-ce qu’elle est plutôt ?… Joseph. — Elle est plutôt ? Relevant la tête et très piqué. morte ! Tous. — Ah ! Yvonne est tombée raide, rattrapée au vol par Lucien. Lucien, tout en s’asseyant rapidement par terre. Yvonne évanouie dans ses bras. — Ah ! voilà ce que je craignais ! Joseph, une fois ce jeu de scène achevé. — Seulement… on m’a recommandé de préparer doucement madame pour ne pas la révolutionner. A part, avec un long soupir de soulagement. Ouf ! Lucien. — Quelle catastrophe ! Au moment où on allait se coucher ! Annette, toute sens dessus dessous. — Mâtâme ! Mâtâme ! Lucien. — Ah ! Vous aviez bien besoin de venir nous annoncer ça, vous ? Joseph. — Mais monsieur, on m’a dit… Lucien. — Ah ! "on vous a dit ! on vous a dit !…" C’est bien, aidez-moi. Joseph. — Oui, monsieur. Il pose son chapeau sur le secrétaire, puis se met à genoux derrière Yvonne que Lucien lui passe pour redescendre un peu entre Yvonne et la banquette. Annette, près de la cheminée. — Mon Tié ! Mon Tié ! Lucien, enjambant Yvonne pour aller à Annette qu’il pousse vers la porte de gauche. — Et vous, allez donc chercher du vinaigre, des sels, au lieu de crier "Mon Tié ! mon Tié ! " ce qui ne sert à rien ! Annette. — Oui, moussié ! En sortant. Ach ! Gott ! Gott ! lieber Gott ! Joseph, qui pendant ce temps-là , pour soutenir Yvonne évanouie, lui a passé les avant-bras sous les aisselles et a les mains appliquées contre sa poitrine, tenant pour ainsi dire chacun de ses seins empoignés. — On porte madame… sur le lit ! Pour dire "sur le lit", il martelle chaque syllabe d’une secousse des poignets dans la direction du lit, ce qui secoue autant de fois la poitrine d’Yvonne. Lucien, revenant à Joseph. — Hein ? Oui… Apercevant le manège de Joseph et se précipitant vers lui. Mais, qu’est-ce que vous faites là , vous ? Joseph, qui tient toujours Yvonne à pleines mains, la secouant légèrement. — Mais je la tiens. Lucien, cherchant à écarter Joseph pour prendre sa place. — Mais en voilà une façon de la tenir !… Vous ne voyez pas qu’elle n’a pas de corset ? Joseph, sans lâcher prise. — Oh ! si monsieur croit que je pense à des choses ? Lucien, à genoux à gauche d’Yvonne et même jeu. — Je me fiche que vous pensiez ou ne pensiez pas !… je vous dis de lâcher ça !… Il repousse Joseph au-dessus de lui et passe, toujours à genoux, à la droite d’Yvonne. Et, tenez, voyez donc si ce n’est pas de l’éther, la bouteille, là près du lit ! Joseph, courant chercher au-dessus du lit. — Oui, monsieur ! oui ! Lucien, maugréant. — Cette façon de peloter ma femme Voyant Joseph au-dessus du lit. Mais pas là ! sur la table voyons ! près du lit ! Joseph. — Oui, monsieur, oui ! Il saute par-dessus le lit à la force des bras pour passer de l’autre côté. Lucien. — Aïe donc, les draps ! allez donc, les draps ! Joseph, qui a débouché le flacon et senti le contenu. — C’en est, monsieur. Lucien. — Bien, donnez ! Joseph court le lui apporter. Yvonne ! mon Yvonne ! Yvonne !… A Joseph. Un linge, maintenant ! Trouvez-moi un linge pour lui tamponner le front. Joseph, ne sachant où donner de la tête et tournant sur place, à droite à gauche, comme une girouette. — Un linge ? Où y a-t-il un linge ? Lucien tout en débouchant le flacon avec ses dents. — Je ne sais pas, mon ami ! Si je le savais, je ne vous demanderais pas ! Cherchez ! Joseph, apercevant de loin la chemise de jour d’Yvonne sur le siège à gauche de la scène et, pour y courir, enjambant carrément les jambes d’Yvonne. — Ah ! ça ! Prenant la chemise. Ça peut-il faire l’affaire ? Lucien, qui, pendant ce jeu de scène de Joseph, a continué à secouer doucement sa femme avec des "Yvonne ! mon Yvonne ! " Je ne sais pas, mon ami ! Qu’est-ce que c’est ! Joseph, apportant la chemise à Lucien. — Ça a l’air d’une chemise de jour ! Lucien, le bouchon toujours entre les dents. — Qu’est-ce que vous voulez, faute de mieux !… Allez, mettez-vous à genoux ! Joseph obéit. Roulez ça en tampon ! En tampon, vous ne savez pas ce que c’est ? Joseph. — Si, monsieur ! Il roule la chemise en tampon Lucien. — C’est bien, donnez ! Tendant la bouteille d’éther à Joseph. Prenez ça ! ça ! Joseph, à genoux de l’autre côté d’Yvonne, prend la bouteille des mains de Lucien et lui passe en échange la chemise de jour. — Lucien, le bouchon toujours entre les dents. Le bouchon ! le bouchon ! Joseph cherche des yeux le bouchon par terre. là ! là ! dans mes dents ! Joseph lui retire le bouchon des lèvres. Bon ! de l’éther ! de l’éther ! Il présente le tampon à Joseph qui l’imbibe d’éther, après quoi tout en tapotant, avec, le visage de sa femme. Yvonne ! mon Yvonne ! A Joseph, tout en lui retendant le tampon pour qu’il y verse un peu d’éther. Ah ! franchement, vous savez, vous !… A sa femme évanouie. Yvonne, mon Yvonne ! A Joseph. Vous auriez bien pu attendre jusqu’à demain matin pour venir nous annoncer des nouvelles pareilles ! Joseph. — Si monsieur croit que c’est pour mon plaisir ! Lucien. — Non, mais c’est peut-être pour le nôtre ! A Yvonne. Yvonne, ma chérie ! A Joseph. Je vous demande un peu ce qui pressait ?… Evidemment, ma pauvre belle-mère, c’est très malheureux ! mais, quoi ? D’ici demain matin… elle ne se serait pas envolée !… et, au moins, madame n’aurait pas eu sa nuit troublée !… Un demi-ton plus bas. ni moi non plus ! Joseph. — Je suis désolé, monsieur ! la prochaine fois je saurai. Annette, accourant avec une de ces salières communes à double coquille et tige en gros verre côtelé, et, en passant devant Joseph allant la présenter devant le nez de Lucien. — Voilà , moussié ! Lucien, relevant la tête, regarde la salière, regarde Annette, regarde la salière, puis. — Qu’est-ce que c’est que ça ? Annette. — C’est la salière. Lucien. — Qu’est-ce que vous voulez que j’en fasse ? Annette. — C’est moussié qui m’a temanté ti sel. Lucien. — Des sels, bougre de moule ! pas du sel ! Vous ne pensez pas que je vais saler madame. Annette. — Est-ce que che sais moi ! ché suis bas médecin. Elle va poser sa salière sur la cheminée. Lucien voyant Yvonne qui revient à elle. — C’est bien ! voilà madame qui rouvre les yeux ! tenez, écartez-vous ! et emportez ça. Il rend vivement la chemise de jour à Joseph qui se relève aussitôt et va se mettre près d’Annette au-dessus de la cheminée. Machinalement, pendant ce qui suit, sans que le public s’en aperçoive, il mettra dans la poche droite de son veston la chemise qu’on vient de lui rendre. Lucien se glisse dans le dos d’Yvonne et s’assied contre elle par terre, les jambes parallèlement à la rampe, les pieds émergeant à droite d’Yvonne, le corps à gauche. Yvonne ! mon Yvonne ! Yvonne, regarde à droite et à gauche comme quelqu’un qui reprend ses sens, puis. — Qu’est-ce qu’il y a eu donc ? Lucien. — Mais, rien, mon chéri ! rien du tout. Yvonne. — Alors, pourquoi suis-je par terre ? A ce moment son regard tombe sur Joseph. Ah !… ah ! oui… oui… oh ! maman ! ma pauvre maman ! elle éclate en sanglots sur la poitrine de Lucien. Lucien, la tenant dans ses bras, et la secouant doucement comme un bébé qu’on veut consoler. — Là ! là ! Allons, voyons !… Allons ! Allons !… Allons, voyons donc ! sapristi de sapristi !… Allons, allons ! Allons, voyons donc ! Allons ! Voyons… allons, voyons !… Allons, allons ! Annette. — Ach Gott ! Gott ! Lucien. — Allons ! Un peu de courage, que diable ! tout espoir n’est peut-être pas perdu ! Yvonne, sanglotant et presque avec rage. — Mais qu’est-ce qui peut arriver de plus puisqu’elle est morte ? Lucien. — Eh bien ! justement, là ! justement ! le plus terrible est passé ! Il faut se faire une raison, que diable ! se dire que pour ceux qui s’en vont c’est la délivrance !… Songe combien ta pauvre maman souffrait de ses rhumatismes ! Yvonne, avec des sanglots dans la voix. — Ma pauvre maman ! Lucien, d’une voix tristement câline. — Eh ben ! oui ! Eh ! ben, oui ! Eh ! bien, maintenant elle ne souffre plus ! et tandis que nous sommes là à la pleurer… Avec un fonds de rancune. debout ! elle repose, elle !… elle est bien heureuse ! Yvonne, avec un dodelinement triste de la tête. — Qu’est-ce qui aurait dit qu’elle s’en irait si vite ! Lucien, avec un soupir. — Ah ! oui !… Quand tout à l’heure je me demandais comment je paierais le tapissier, je ne me doutais pas !… enfin ! Yvonne, sanglotant. — Ma pauvre maman ! Lucien. — Ah ! oui… ta pauvre, brave, et digne et sainte femme de mère ! A part. Ce que j’ai mal aux reins ! Tout en parlant, fatigué qu’il est de sa position, il s’est mis d’abord sur les genoux, puis cambre en arrière ses reins qui lui font mal, regarde à droite et à gauche s’il n’y a pas un siège à lui avancer, puis, sur un ton câlin. Dis donc, mon Yvonne ? Yvonne. — Quoi ? Lucien. — Tu ne veux pas t’asseoir, ma chérie ? Yvonne, brusquement avec éclat, ce qui fait sursauter Lucien. — Eh ! non quoi ! "m’asseoir ! m’asseoir ! " Quelle importance ça a-t-il que je sois sur une chaise ou par terre ? Lucien, vivement. — Oui, oui ! Bon, bon ! Il va s’asseoir sur la banquette. Yvonne, lyrique dans sa douleur. — Ah ! c’est sous terre que je voudrais être ! Annette, près de la cheminée, douloureusement, entre chair et cuir. — Oh ! ça vous grève le cœur ! Yvonne, qui depuis un moment, le corps rejeté un peu en arrière et appuyé sur les bras, les paumes des mains par terre, fait des grimaces de la bouche, comme quelqu’un qui a de l’empois sur la figure, le tout haché de sanglots. A Lucien. — Ah ! çà ?… A Joseph. Ah ! çà ?… mais qu’est-ce que vous m’avez mis sur la figure qui me colle ? Lucien. — Rien, ma chérie ! c’est de l’éther. Yvonne. — Quel éther ? Joseph, indiquant la table de nuit. -… Qui était dans la bouteille. Yvonne. — Mais c’est stupide ! c’est du sirop d’éther ! en voilà une idée. Joseph et Lucien. — Du sirop ! Joseph, qui a tiré le flacon de sa poche, après avoir jeté un coup d’œil sur l’étiquette. — Oh ! J’avais pas lu l’étiquette ! Je m’étais contenté de sentir. Il remet le flacon à Annette qui le pose sur la cheminée. Lucien. — Ah ! vous êtes malin, mon garçon ! vous êtes malin ! Yvonne, lyrique. — D’ailleurs que m’importe ! quand on a le… Grimace. cœur en croix… ! Grimace. — puis à Annette. Vous me préparerez simplement un peu d’eau, Annette, que je me débarbouille. Annette. — Oui, mâtâme. Elle gagne par le fond vers la porte de droite par laquelle elle sort. Yvonne, avec une tendresse douloureuse. — La pauvre chère femme ! Te souviens-tu comme elle était bonne ? Lucien, distrait, a un hochement de tête approbatif, puis. — Qui ? Yvonne, lui envoyant une tape de colère sur le mollet. — Mais maman Lucien. — Ah ! oui. Yvonne. — Et pour toi, si pleine d’indulgence ! t’excusant toujours ! Quand on pense que tu la bousculais, que tu la traitais… ! Il n’y a pas deux jours encore tu as été jusqu’à l’appeler "chameau". Lucien, d’un ton douloureusement suppliant. — Yvonne ! Yvonne, sur un ton larmoyant. — Comment as-tu pu te laisser aller à l’appeler chameau ? Lucien, a un geste vague, puis, comme le meilleur argument du monde. — Je ne pensais pas qu’elle mourrait ! Yvonne. — Voilà ! c’est ton châtiment aujourd’hui. Lucien, pivotant sur son séant. — Ah ! Seigneur ! Il reste dos au public pendant ce qui suit, la tête dans la main droite, le coude sur la barre du pied du lit. Yvonne. — Quel remords de penser qu’elle est partie avec le souvenir de ton manque de respect !… Chameau ! ma sainte mère Sur un ton lent, rythmé et doux, tandis que Lucien, à chaque fin de phrase, a l’air d’approuver d’un hochement de tête, alors qu’en réalité ce n’est que le résultat du bercement que produit chez lui la musique des paroles d’Yvonne. Eh ! bien ! que ta conscience s’apaise ! Je connais mieux que personne quels trésors de miséricorde renfermant le cœur de maman ; aussi, je crois être l’interprète de son sentiment dernier, en te disant "Va, Lucien ! on te pardonne… ! " Répétant douloureusement. On te pard… Ne recevant pas de réponse de Lucien, elle relève la tête de son côté et… constatant qu’il s’est assoupi pendant qu’elle parlait, lui envoyant une vigoureuse tape sur le mollet. Tu dors ! Lucien, réveillé en sursaut. — Hein ? Moi ? Euh… ! Ah ! Je te demande pardon ! un peu de fatigue… ! Yvonne, indignée. — Fatigué ! Maman n’est plus, et il est fatigué. Se relevant d’un bond et empoignant Lucien qu’elle envoie de l’autre côté donner dans l’estomac de Joseph. Allons, debout ! Lucien et Joseph, cognés l’un contre l’autre. — Oh ! Yvonne. — Est-ce que nous ne devrions pas être là -bas ? Lucien. — Ah ! on va… ? Yvonne. — Naturellement, on va ! tu ne comptes pas que nous allons nous coucher. Lucien, avec un soupir de résignation tout en jetant un regard de regret vers le lit. — Non ! Yvonne, écartant brusquement Lucien de son passage pour aller à la chaise gauche de la scène. Tout en soulevant son jupon qui est sur la chaise et l’y reposant. — Ma chemise de jour ? Où est ma chemise de jour ? En disant le second "ma chemise de jour". elle a écarté Joseph en le repoussant vers la cheminée et est remontée vers la chaise près du secrétaire. Lucien, à Joseph. — Mais je vous l’ai donnée à vous ! Joseph. — A moi ! Lucien. — Mais oui ! Joseph. — Ah ! oui ! Tirant la chemise, longuement, de sa poche. Voilà madame. Yvonne, qui est redescendue entre eux, à Joseph. — Comment ! vous avez ma chemise de jour dans votre poche ! Joseph. — C’est monsieur qui s’en était servi… pour mettre du sirop sur la figure de madame. Yvonne, lui enlevant la chemise des mains d’un geste brusque. — C’est insensé ! ma parole ! Se retournant vers Lucien et le voyant immobile, attendant on ne sait quoi. Eh ! bien ! dépêche-toi, voyons ! Qu’est-ce que tu attends pour t’habiller ? Lucien. — Ah ? Il faut… ? Yvonne, exaspérée. — Evidemment !… tu ne comptes pas aller là -bas en Louis XIV ? Lucien. — Non ! Yvonne, à Joseph. — Se mettre en Louis XIV quand on perd sa belle-mère ! Joseph, bien inconsidérément. — C’est rigolo ! Yvonne. — Ah ! vous trouvez, vous ? Joseph. — Oh ! pardon, non ! Lucien, à Annette qui sort en ce moment du cabinet de toilette. — Ah ! Annette !… donnez-moi mon costume de cheviotte noire, ma cravate noire et des gants noirs. Annette fait mine d’aller vers la chambre de droite, mais s’arrête aussitôt à la voix d’Yvonne. Yvonne, faisant pirouetter son mari face à elle et au comble de l’exaspération. — Ah ! non ! non ! tu ne vas pas t’habiller comme ça ! Tu aurais l’air d’avoir commandé ton deuil d’avance ; ça ne se fait pas ! Elle passe et dépose sa chemise de jour sur le pied du lit. Lucien. — Tu as raison ! Allant à Annette qui est près de la porte de la chambre de gauche. Eh bien ! le costume que vous voudrez Annette ! mon… mon plus gai ! Annette. — Oui, monsieur. Elle sort. Yvonne, tout en maugréant, défaisant les rubans de sa chemise de nuit qu’elle s’apprête à retirer pour passer sa chemise de jour. — Non, c’est vrai ça ! Elle est face au pied du lit, dos par conséquent à Joseph qui fixe ce jeu de scène, mais d’un air indifférent et distrait. Lucien, allant à Joseph. — Quant à vous… Arrêté par l’attitude de Joseph, regardant ce qu’il regarde et bondissant aussitôt sur sa femme et lui ramenant sur le cou sa chemise qui déjà dégage son épaule. Ah ! çà , qu’est-ce que tu fais ? Tu perds la tête ? Yvonne, ahurie par ce bolide qui lui tombe sur les épaules. — Quoi ? Lucien. — Tu changes de chemise ici, à présent ? Yvonne, les nerfs à fleur de peau. — Oh ! je t’en prie, écoute… ! Elle rejette le col de sa chemise en arrière dans le but de sortir son bras. Lucien, lui remontant à nouveau sa chemise. — Mais pas du tout ! tu ne vas pas te mettre toute nue devant ce domestique ! Joseph, d’un air profondément détaché. — Oh ! si c’est pour moi, monsieur… ! Lucien, furieux et dans le nez de Joseph. — Evidemment, c’est pour vous ! Yvonne, à Joseph, avec Lucien entre eux deux. — Non ! je perds ma mère et voilà à quoi il regarde si j’ai une chemise ou si je n’en ai pas ! Elle dégage vers le lit. Lucien, furieux. — On peut perdre sa mère et être convenable ! Yvonne. — Oh ! oui, oh ! tais-toi, va !! Paraît Annette, venant de gauche, apportant sur son bras le vêtement complet de Lucien, et tenant dans sa main droite les souliers de ce dernier, sur la pointe desquels s’érige son chapeau melon. Au pantalon, pendent, attachées aux boutons de derrière, les bretelles de Lucien. — A Annette. Allez ! venez, Annette ! venez m’aider ! Elle sort par la droite en emportant son peignoir et sa chemise de jour. Lucien, pendant qu’Annette dépose son costume sur la chaise gauche de la scène, ses bottines par terre et le chapeau sur une des bougies des candélabres de la cheminée. — Oh ! mais quelle nuit, mon Dieu ! quelle nuit ! Joseph. — Heureusement, monsieur, que ça n’arrive pas tous les jours ! Lucien. — Ah ! si vous croyez que c’est rigolo, tout ça !… A Annette. Ecoutez, ma fille ! je ne sais pas à quoi ça tient ? On ne voit que vous ici ! Annette, d’une voix pleurnicharde, tout en s’en allant. — Mais je fais mon serfice, moussié ! Lucien. — Allez, ma fille ! Allez ! Oh ! Tandis qu’Annette sort de droite, à Joseph, lui passant son bras droit sur l’épaule droite. Voyons, mon ami, vous allez m’aider. Joseph. — Oui, monsieur ! Lucien. — Vous êtes intelligent ? Joseph. — Oui, monsieur ! Lucien. — Bon ! alors, voilà … euh !… vous… vous allez, euh !… Joseph remonte. Eh ben ! où allez-vous ? Où allez-vous ? Joseph, ahuri. — Je ne sais pas, monsieur ! Lucien. — Ah ! vous êtes malin, mon ami ! Avec tout ça, je ne sais plus ce que je voulais vous dire ! Brusquement. Ah ! oui ! Il remonte dans la direction du secrétaire ; Joseph, empressé, sans d’ailleurs savoir davantage pourquoi, remonte en même temps que lui. Quoi, mon ami ? Je vais écrire ; je n’ai pas besoin de vous ! Joseph. — Ah ! pardon ! Lucien. — Oui ! ça va bien ! Il va prendre la chaise du fond, la place devant le secrétaire et, s’y asseyant, se met à écrire. Joseph, après un temps, remontant à gauche du secrétaire, près de Lucien qui écrit. — J’étais pas fier, allez monsieur, en venant ici !… C’est la première fois que j’ai l’honneur de voir monsieur et madame, mais, vrai, j’aurais mieux aimé avoir à leur annoncer qu’ils avaient gagné le gros lot de la loterie des millions, plutôt qu’une nouvelle pareille ! Lucien, sans s’interrompre d’écrire, fait signe de la main gauche à Joseph de se taire. Celui-ci n’y prend garde. Aussi ça été un rude poids de moins quand j’ai eu vidé mon sac ! mais vrai ! je ne voudrais pas avoir à le recommencer ! Lucien, tout en écrivant. — Vous m’empêchez d’écrire, mon ami. Joseph. — Pardon ! Les mains derrière le dos, son chapeau dans les mains, il descend près du pied du lit. Lucien. — Annette !… Il mouille les bords d’une des cartes-lettres qu’il vient d’écrire. Annette ! Joseph, jette un regard vers Lucien, puis, complaisamment, va jusqu’à la porte par laquelle sont sorties les deux femmes et écartant carrément la portière. — Mademoiselle, monsieur vous appelle ! Voix d’Annette. — Ch’habille mâtâme, monsieur. Voix d’Yvonne. — Tu peux bien attendre un instant ! Lucien, tout en collant la seconde carte-lettre. — Oui ! oui ! Joseph, tenant toujours la portière écartée et les yeux fixés sur l’intérieur du cabinet de toilette. — Ça ne sera pas long, monsieur ! madame a déjà sa chemise de jour. Lucien, donnant un fort coup de poing sur la tablette du secrétaire et se précipitant sur Joseph qu’il fait pirouetter de façon à l’envoyer au milieu de la scène. — C’est trop fort, par exemple ! Mais qu’est-ce que vous avez besoin d’aller fourrer votre nez ! Joseph, ahuri par cette façon de reconnaître son obligeance. — C’était pour obliger monsieur ! Lucien. — Ah ! Taisez-vous donc ! "m’obliger ! m’obliger ! " Tenez, passez-moi plutôt mes vêtements ! Joseph, ahuri, tourne à droite et à gauche. Mes vêtements ! là ! là Envoyant Joseph à sa gauche. Allez ! retirez-vous de là ! Il va prendre lui-même son complet. En se retournant, il donne dans Joseph qui s’est précipité pour l’aider à prendre ses vêtements. Mais retirez-vous donc de là ! Il l’envoie à sa droite, près de la cheminée, et gagne vers le pied du lit. A Joseph complètement ahuri. Eh bien ! venez ici ! Joseph, accourant. — Oui, monsieur ! Lucien. — Et aidez-moi ! Joseph. — Oui, monsieur. Pendant ce qui suit, Joseph, enlève la mante de Lucien, puis lui dégrafe son justaucorps. Lucien, en-dessous, a sa chemise de jour et sa cravate sous son col rabattu. Ce jeu de scène se fait au pied du lit, près de la banquette. Lucien, tout en se faisant déshabiller. — Dites-moi ! vous avez un fiacre en bas ? Joseph. — Oui, monsieur. Lucien. — Alors, il n’y a pas de temps à perdre. Joseph. — Surtout que c’est un taxi-auto. Ayant fini de dégrafer Lucien, il gagne la gauche. Lucien, gagnant au-dessus du lit. — Ah ! bien ! tant pis ! qu’est-ce que vous voulez ! c’est pas tous les jours fête !… Joseph, scandalisé. — Fête ? Lucien. — Hein ?… Euh !… non ? Quoi ? enfin… vous me comprenez ! Il a pris son pantalon et le passe sans réfléchir par-dessus sa culotte Louis XIV. Annette, sortant du cabinet de toilette et passant devant Lucien qui s’habille dos au public, s’arrête tout de suite à sa gauche. — Moussié a pésoin de moi ? Lucien, s’habillant. — Madame est prête ? Annette. — Pientôt ! Lucien. — Qu’est-ce que vous me demandiez ? Annette. — Si moussié a pésoin te moi ? Lucien. — Non ! Annette fait mine de s’en aller. Si ! Annette s’arrête. Lucien, tout en s’habillant, hachant ses mots comme quelqu’un qui fait deux choses à la fois. — Tenez, ma fille, il y a là deux… deux lettres sur la… A Joseph, qu’il voit se diriger vers le secrétaire, pour se rendre utile. mais pas vous ! A Annette. Vous, bougre de moule ! Vous ne comprenez pas ? sur la tablette du secrétaire ! Vous allez descendre et les mettre à la poste. Annette, avec un sursaut de révolte. — Maintenant ! Lucien. — Naturellement, maintenant ! il faut qu’elles soient distribuées demain à la première heure ! Annette, maussade. — C’est caï ! Elle se dirige vers la porte de gauche. Lucien, passant son gilet et son veston sans s’apercevoir que ses bretelles pendent aux boutons de derrière de son pantalon. — Eh bien ! où allez-vous ? Où allez-vous ? Annette. — Che fais mette ine chipe ! Lucien. — Eh ! "ine chipe ! ine chipe ! " si vous croyez qu’on fera attention à vous ! à cinq heures du matin ! Annette. — Che peux pas aller comme ça en chipon ! c’est pas gôrrect. Lucien. — Eh ! bien prenez un waterproof. Annette. — Ché n’ai bas dé vatfairpoufe. Lucien. — Eh ! bien ! vous prendrez mon pardessus qui est pendu dans l’antichambre. Annette. — Ah ! c’est écal ! c’est pas gôrrect ! Lucien. — Bon, bon, ça va bien, allez ! Annette. — De quoi qu’est-ce que che vais avoir l’air ! t’ine femme touteuse ! Lucien. — Eh ! bien ! si on vous enlève, vous viendrez me le dire. Annette. — Comme ine crue ! Elle sort par le fond. Lucien, habillé, ses bretelles pendant par derrière, à Joseph. — Là ! Donnez-moi mon… donnez-moi mes… Voyant Joseph qui, ne comprenant pas ce qu’il demande, tourne à droite, à gauche, finalement les yeux en l’air. mes souliers ! Quoi ! ils ne sont pas au plafond ! Prenant lui-même ses souliers et allant s’asseoir sur la banquette pour les mettre. Ah ! vous n’êtes guère dégourdi, mon ami ! Joseph. — Monsieur ne s’expliquait pas ! Lucien. — Eh ! ben, venez ici ! Joseph se précipite et se laisse tomber à genoux devant Lucien pour l’aider ; il prend le soulier que n’a pas encore pris Lucien ; celui-ci, lui arrachant le soulier de la main. Mais foutez-moi la paix ! Tout en mettant ses souliers. Dites-moi ! qu’est-ce que c’est votre auto ? Joseph. — Une Renault. Lucien. — Une petite rouge ? ah ! tant mieux ! Ça va plus vite et c’est moins cher. Joseph. — A cette heure-ci, c’est de la veine de l’avoir trouvée. Lucien. — Oui, ça c’est de la veine ! il n’y a pas à dire, nous sommes en veine. Yvonne, sortant du cabinet de toilette, en grand manteau par-dessus son peignoir et la tête enveloppée dans une mousseline de soie. — Eh ! bien ! es-tu prêt ? Lucien, achevant de mettre ses souliers. — Voilà ! voilà , tout de suite. Yvonne, à Joseph qui est près du secrétaire. — Vous avez une voiture ? Joseph. — Oui, madame, en bas. Lucien, allant à la cheminée prendre son chapeau. — Une Renault ! une petite rouge ; ça va plus vite et c’est moins cher. Mettant son chapeau sans s’apercevoir qu’il a toujours sa perruque et allant rejoindre sa femme au fond. Là ! je suis prêt ! Yvonne, le faisant pivoter et l’envoyant en scène. — Eh ! bien ! et ta perruque ! tu ne va pas sortir avec ta perruque ! Lucien. — Hein ! ma perr… Tu m’ahuris, qu’est-ce que tu veux ! Tu m’ahuris. Il enlève sa perruque et la dépose sur la cheminée. Yvonne. — Mon Dieu ! au moment de partir, le courage me manque. Lucien, remontant vers la sortie. — Ben oui ! ça ne m’amuse pas non plus, mais il a de cruels devoirs dans la vie ! Il passe entre eux deux et sort au fond. Yvonne, prenant Joseph par l’avant-bras et le faisant descendre en scène. Lucien, qui, déjà dans le vestibule, s’est arrêté à la voix de sa femme, suit le mouvement. — Dites-moi, mon ami ! Joseph. — Madame ? Yvonne. — Elle n’est pas trop changée au moins ? Joseph. — Oh ! non, du tout. Yvonne. — Pauvre maman ! dites-moi qu’elle n’a pas trop souffert. Lucien, voyant que ça peut durer longtemps, s’assied sur la chaise près de la cheminée. Joseph, heureux de donner à Yvonne cette consolation. — Pas un instant ;… Elle était très bien portante… elle avait mangé de bon appétit à dîner deux tranches de gigot… Yvonne, avec émotion, les yeux au ciel. — Deux tranches de gigot ! Lucien, sur un ton navré. — Deux tranches de gigot ! Joseph, dans un soupir. — Deux tranches de gigot, oui ! Reprenant son récit. Après le dîner, elle avait fait deux ou trois patiences ; puis elle était allée se coucher… avec monsieur. Yvonne, prostrée dans sa douleur, et d’une voix à peine perceptible. — Ma pauvre mam… A ce moment seulement les derniers mots de Joseph frappent son cerveau, elle relève lentement la tête comme quelqu’un qui s’interroge, puis la tournant vers Joseph. Monsieur ? Lucien, en même temps que sa femme. — Monsieur ? Yvonne. — Maman était couchée avec un monsieur ? Lucien. — Quel monsieur ? Joseph, avec une pointe d’inquiétude dans la voix. — Mais… M. Fajolet !… le père de madame ! Yvonne. — Mon père ! Lucien, qui s’est levé et, les dents serrées, le menton en avant, s’est avancé jusque vers Joseph, le faisant pivoter vers lui d’une tape brusque sur le bras. — Où ça son père ? Qui ça son père ? Ma belle-mère est veuve ! Joseph, pivotant sur lui-même et dos au public, reculant jusqu’à l’avant-scène. — Ah ! mon Dieu ! vous n’êtes donc pas monsieur et madame Pinnevinnette ! Yvonne. — Pinnevinnette ! Lucien, furieux, et tout en marchant sur lui, avec l’allure d’un fauve qui va s’élancer sur sa proie. — Mais non, monsieur, nous ne sommes pas les Pinnevinnette ! Joseph a reculé à mesure que Lucien et Yvonne avançaient sur lui, et finit peu à peu par être acculé contre la table de nuit. Yvonne, qui a suivi son mari dans un mouvement en ciseaux, ce qui la met à sa droite. — Est-ce que nous avons l’air de Pinnevinnette ? Lucien. — C’est sur le palier à droite, les Pinnevinnette ! Joseph, la gorge serrée. — Eh bien ! c’est pas le palier droit, ici ? Lucien. — Non, monsieur, c’est le gauche ! c’est le droit quand on sort de l’ascenseur, mais le gauche quand on prend l’escalier. Yvonne. — Si vous aviez pris l’escalier comme tout le monde !… Joseph, brusquement. — Ah ! mon Dieu ! Yvonne et Lucien. — Quoi ? Joseph. — Mais alors… il va falloir que je recommence à annoncer ? Lucien, le prenant par le bras et l’envoyant au milieu de la scène. — Non, mais vous ne pensez pas que je vais y aller pour vous ? Joseph. — Oh ! recommencer ! Moi qui étais si content d’être débarrassé. Lucien. — A-t-on jamais vu un imbécile pareil ! Yvonne, marchant également sur lui. — Venir vous donner des émotions en vous annonçant que votre mère est morte quand elle ne l’est pas ! Joseph. — Madame, je suis désolé. Yvonne, haussant les épaules. — Oh taisez-vous donc ! Elle redescend à droite. Lucien, le faisant pirouetter et l’envoyant ainsi au fond de la scène — Allez, foutez-moi le camp ! Espèce d’idiot ! Yvonne, à l’avant-scène au pied du lit. — Maladroit ! Lucien, à l’avant-scène près de la cheminée ! — Crétin ! Joseph, au fond. — Mais monsieur, c’est pas de ma faute !… vous devriez être contents ! Lucien et Yvonne, bondissant sur place. — Contents ! Lucien. — Brute ! Yvonne. — Imbécile. Lucien. — Chameau ! Joseph, dans l’embrasure de la porte. — C’est trop fort, par exemple ! vous m’engueulez parce que votre mère n’est pas morte ! je n’y peux rien, moi ! Tous deux, bondissant sur lui. — Qu’est-ce que vous dites ! Lucien, à gauche de la porte à Joseph. — Voulez-vous foute le camp ! n… de D… ! Yvonne, poussant Joseph dehors. — Voulez-vous vous en aller ! Joseph, pendant qu’on l’expulse. — Oh ! non, non, je m’en souviendrai de celle-là . Yvonne. — Oh ! et moi aussi, par exemple ! Elle sort à la suite de Joseph qu’elle poursuit jusque dans l’antichambre. Lucien, qui est resté sur le pas de la porte, continuant à invectiver Joseph que le public ne voit plus, pas plus qu’Yvonne. — Foutez le camp !… Foutez le camp !… Foutez le camp !… Foutez le camp !… Foutez le camp !… Chaque "Foutez le camp ! " doit être espacé de deux secondes. Dans chaque intervalle on entend un "Oh ! " indigné d’Yvonne. A tout cela se mêlent les protestations de Joseph, le bruit de la porte d’entrée qu’on ouvre, puis qu’on referme brusquement sur le dos de quelqu’un. Lucien, redescendant, et comme un dernier grognement qui ne s’adresse plus à personne. Foutez le camp ! Yvonne, très énervée, redescendant vers le pied du lit et y jetant son fichu et son manteau. — Oh ! Lucien. — Oh ! Yvonne. — Oh ! Lucien. — Oh ! quelle brute ! quelle brute ! Yvonne. — Vous donner des coups pareils ! Elle s’assied tout émue sur la banquette. Lucien, indigné. — Oh ! Après un temps, heureux de cette occasion de représailles. Eh bien ! la voilà , ta mère ! voilà ce qu’elle nous fait, ta mère ! Yvonne, ahurie. — Ah ! çà ! qu’est-ce que tu as ? Qu’est-ce qui te prend ? Lucien. — Oui ! Qu’est-ce que je dirai au tapissier, moi, maintenant ?… quand il apprendra que ta mère n’a jamais été morte ? que tout ça c’était une blague ? Yvonne. — Comment, quand il apprendra ? Mais tu n’as qu’à ne pas lui apprendre. Lucien, presque crié. — Mais je lui ai écrit ! Yvonne, se dressant indignée. — Déjà ! Lucien, de même. — Evidemment ! puisqu’il nous embête, cet homme ! Yvonne. — Oh ! Lucien. — Je lui ai annoncé que j’allais pouvoir le régler, ayant eu la… la douleur de perdre ma belle-mère. Yvonne. — C’est trop fort ! tu escomptais maman ! Lucien. — Je ne pouvais pas me douter que tout ça c’était une blague ! Montrant le poing à la porte du fond. Oh ! le chameau ! le chameau ! Yvonne, sautant sur lui comme une tigresse. — C’est maman que tu appelles chameau ? C’est maman que tu appelles chameau ? Lucien. — Oh ! oui, alors ! oh ! oui, alors ! Chameau ! Chameau ! Yvonne, lui mettant ses ongles dans la figure. — Misérable ! Misérable ! A ce moment, une sonnerie éloignée et différente de celle de la porte d’entrée retentit, arrêtant court leur altercation. Yvonne, brusquement impérative. Chut ! tais-toi ! Lucien, saisi. — Qu’est-ce qu’il y a ? Yvonne. — Le domestique qui vient de sonner à la porte d’à côté. Lucien, redescendant. — Eh bien ! je m’en fous !! Yvonne, sautant de joie. — C’est les voisins qui ont perdu leur mère ! C’est les voisins qui ont perdu leur mère ! Lucien. — C’est ça, tu te réjouis du malheur des autres. Yvonne, gagnant joyeuse l’avant-scène droite et tout en s’asseyant d’un saut sur le lit. — Tiens ! Quand je pense que ça a failli être moi ! Lucien. — Oh ! oui, plus souvent ! Remontant. Ah ! nous sommes bien ! nous voilà bien ! Scène IVModifier Les Mêmes, Annette Annette, rentrant vêtue d’un large et long pardessus à Lucien. — Foilà ! c’est fait ! Lucien, bondissant vers elle et lui saisissant les poignets. — Ah !… les lettres ! qu’est-ce que vous avez fait des lettres ? Annette, reculant dans l’espace qui est entre le fond et le lit. — Che les ai mises à la poste. Lucien. — C’est ça ! voilà ! elle les a mises à la poste ! Annette. — Pen ! oui, puisque moussié… Lucien. — Ah ! vous avez fait un joli coup ! Qu’est-ce vous aviez besoin de vous presser comme ça ? Annette. — Comment, mais c’est moussié qui m’a dit… ! Lucien. — Eh ! C’est moi, c’est moi… ! parce que tout à l’heure la mère de madame était morte. Il redescend. Yvonne, radieuse, à Annette qui est tout près d’elle de l’autre côté du lit. — Oui, et maintenant… elle ne l’est plus. Annette, au-dessus du lit. — Lieber Gott !… ils sont fous ! Yvonne, bien chaud. — C’est pas maman ! c’est la mère des voisins ! Le domestique s’était trompé de palier ! Annette. — Non ! c’est frai ? Lucien, furieux. — Mais oui ! Annette, sautant en l’air de joie. — Ah ! que che suis gondende ! Lucien, furieux. — C’est ça, elle est gondende ! elle est gondende ! Annette. — Mais oui ! Yvonne, indiquant du doigt Lucien qui est à l’avant-scène gauche. — Non, mais c’est que monsieur, lui, il regrette ! Lucien, haussant les épaules. — Allons, voyons ! Yvonne. — Il aurait été heureux d’enterrer maman ! Lucien, même jeu. — Ah ! là , "l’enterrer"… ! Brusquement. Ah ! n… de D… ! Yvonne. — Quoi ! Lucien. — Et ma lettre à Borniol ! Yvonne. — Quoi, "ta lettre à Borniol" ? Lucien, vite et d’une voix navrée. — J’ai écrit à la maison Borniol de venir demain matin chez ta mère pour s’entendre pour le convoi ! Yvonne, bondissant à genoux sur le lit. — Tu as fait ça ! Lucien. — Ah bien ! c’est du joli ! Yvonne, avançant sur les genoux jusqu’au pied du lit. — Mais tu veux donc la tuer ! tu veux donc sa peau ! Lucien. — Oh bien ! voilà tout ! on en sera quitte pour envoyer une dépêche demain matin ! Yvonne, lui montrant le point. — Misérable ! il veut tuer maman ! il veut tuer maman ! Tout ceci jusqu’à la fin et pour ainsi dire ensemble Lucien, allant jusqu’au pied du lit et sur un ton impératif. — Oh ! et puis assez ! c’est le moment de dormir ! Yvonne, sans l’écouter. — Scélérat ! Assassin ! Troppmann ! Lucien, monté à moitié sur la banquette. — Vas-tu te taire ! vas-tu te taire ! Annette, qui est montée sur le rebord du lit, essayant de s’interposer entre eux. — Voyons, mâtâme ! monsieur ! Yvonne. — Il veut tuer maman ! Il veut tuer maman ! Lucien, abandonnant la place et face au public. — Oh ! non ! non ! j’aime encore mieux coucher dans les draps de la bonne ! Yvonne, pendant que le rideau baisse. — Et il dit que j’ai les seins en portemanteau. Annette. — Mâtâme ! mâtâme ! Lucien, gagnant la porte de gauche. — Oh ! la barbe ! la barbe ! Yvonne. — Il dit que j’ai les seins en portemanteau ! Lucien. — La barbe ! Il sort furieux. RIDEAU
Faisdu feu dans la cheminée Je reviens chez nous S'il fait du soleil à Paris Il en fait partout Fais du feu dans la cheminée Je reviens chez nous S'il fait du soleil à Paris Il en fait partout La Seine a repris ses vingt berges Malgré les lourdes giboulées Si j'ai du frimas sur les lèvres C'est que je veille à ses côtés
Paroles de Je reviens chez nous par Jean-Pierre FerlandIl a neigé à Port-au-Prince Il pleut encore à Chamonix On traverse à gué la GaronneLe ciel est plein bleu à Paris Ma mie l′hiver est à l'envers Ne t′en retourne pas dehors Le monde est en chamaille On gèle au sud, on sue au nord Fais du feu dans la cheminée Je reviens chez nous S'il fait du soleil à Paris Il en fait partout Fais du feu dans la cheminée Je reviens chez nous S'il fait du soleil à Paris Il en fait partout La Seine a repris ses vingt berges Malgré les lourdes giboulées Si j′ai du frimas sur les lèvres C′est que je veille à ses côtés Ma mie, j'ai le coeur à l′envers Le temps ravive le cerfeuil Je ne veux pas être tout seul Quand l'hiver tournera de l′oeil Fais du feu dans la cheminée Je reviens chez nous S'il fait du soleil à Paris Il en fait partout Fais du feu dans la cheminée Je reviens chez nous S′il fait du soleil à Paris Il en fait partout Je rapporte avec mes bagages Un goût qui m'était étranger Moitié dompté, moitié sauvage C'est l′amour de mon potager Fais du feu dans la cheminée Je reviens chez nous S′il fait du soleil à Paris Il en fait partout Fais du feu dans la cheminée Je rentre chez moi Et si l'hiver est trop buté On hiverneraWriters J. P. Ferland 5 préférésDernières activités
Faisdu feu dans la cheminée Je reviens chez nous S'il fait du soleil à Paris Il en fait partout Fais du feu dans la cheminée Je rentre chez moi Et si l'hiver est trop rusé On hibernera La Seine a repris ses vingt berges Malgré les lourdes giboulées Si j'ai du frimas sur les lèvres C'est que je veille à ses côtés Ami j'ai le cœur à l'envers Le temps ravive le cerfeuil Et je ne veux
21 Jan Les pompiers appelés pour éteindre un feu de cheminée» dans une propriété By Non classé Les pompiers ont été appelés pour éteindre un feu de cheminée dans une propriété jumelée à Parr hier soir. Le service d’incendie et de secours de Merseyside a été alerté de l’incendie vers 17 h 30 le jeudi 20 janvier après que de la fumée et des braises ont été vues provenant de la cheminée de la propriété. Heureusement, grâce à l’intervention rapide des pompiers, il n’y a eu aucun dommage à la propriété et le feu a été rapidement éteint. Les pompiers ont utilisé un jet dévidoir et une tige de cheminée interne pour dégager la cheminée. Les feux de cheminée peuvent se déclencher en raison de substances inflammables telles que la suie et la créosote qui peuvent s’accumuler dans votre conduit de cheminée. Si ces substances deviennent plus tard suffisamment chaudes pour prendre feu, elles peuvent gravement endommager le conduit de cheminée – qui n’est pas conçu pour contenir autant de chaleur – et éventuellement permettre à la chaleur ou au feu de s’échapper dans la maison. Un porte-parole du Merseyside Fire and Rescue Service a confirmé que les pompiers avaient quitté la propriété vers 19h30. Ils ont parlé aux occupants de la sécurité et de l’entretien des feux à charbon, leur ont conseillé de ne pas utiliser le foyer et de contacter leur propriétaire pour faire ramoner leur cheminée.
Faisdu feu dans la cheminée, Je reviens chez nous. S’il fait du soleil à Paris, Il en fait partout! La Seine a repris ses vingt berges, Malgré les lourdes giboulées. Si j’ai du frimas sur les lèvres,
LES MARRONS DU FEU PROLOGUE Mesdames et messieurs, c’est une comédie, Laquelle, en vérité, ne dure pas longtemps ; Seulement que nul bruit, nulle dame étourdie, Ne fasse aux beaux endroits tourner les assistants. La pièce, à parler franc, est digne de Molière Qui le pourrait nier ? Mon groom et ma portière, Qui l’ont lue en entier, en ont été contents. Le sujet vous plaira, seigneurs, si Dieu nous aide ; Deux beaux fils sont rivaux d’amour. La signora Doit être jeune et belle, et si l’actrice est laide, Veuillez bien l’excuser. — Or, il arrivera Que les deux cavaliers, grands teneurs de rancune, Vont ferrailler d’abord. — N’en ayez peur aucune ; Nous savons nous tuer, personne n’en mourra. Mais ce que cette affaire amènera de suites, C’est ce que vous saurez, si vous ne sifflez pas. N’allez pas nous jeter surtout de pommes cuites Pour mettre nos rideaux et nos quinquets à bas. Nous avons pour le mieux repeint les galeries. — Surtout considérez, illustres seigneuries, Comme l’auteur est jeune, et c’est son premier pas. PERSONNAGES L’abbé ANNIBAL DESIDERIO. RAFAEL GARUCI. PALFORIO, hôtelier. Matelots. Valets. Musiciens. Porteurs, etc. LA CAMARGO, danseuse. LÆTITIA, sa camériste. ROSE. CYDALISE. L’amour est la seule chose ici-bas qui ne veuille d’autre acheteur que lui-même. — C’est le trésor que je veux donner ou enfouir à jamais, tel que ce marchand, qui dédaignant tout l’or du Rialto, et se raillant des rois, jeta sa perle dans la mer, plutôt que de la vendre moins qu’elle ne Scène première Le bord de la mer. — Un orage. Un matelot. Au secours ! il se noie ! au secours, monsieur l’hôte ! Palforio. Qu’est-ce ? qu’est-ce ? Le matelot. Qu’est-ce ? qu’est-ce ? Un bateau d’échoué sur la côte. Palforio. Un bateau, juste ciel ! Dieu l’ait eu sa merci ! C’est celui du seigneur Rafael Garuci. En dehors. Au secours ! Le matelot. Au secours ! Ils sont trois ; on les voit se débattre. Palforio. Trois ! Jésus ! Courons vite, on nous paiera pour quatre Si nous en tirons un. — Le seigneur Rafael ! Nul n’est plus magnifique et plus grand sous le ciel ! Exeunt. Rafael est apporté, une guitare cassée à la main. Rafael. Ouf ! — A-t-on pas trouvé là -bas une ou deux femmes Dans la mer ? Deuxième matelot. Dans la mer ?Oui, seigneur. Rafael. Dans la mer ? Oui, sont deux bonnes âmes. Si vous les retirez, vous me ferez plaisir. Ouf !Il s’évanouit. Deuxième matelot. Ouf !Sa main se roidit. — Il tremble. — Il va mourir. Entrons-le là dedans. Ils le portent dans une maison. Troisième matelot. Entrons-le là sais-tu qui demeure Là ? Jean. Là ?C’est la Camargo, par ma barbe, ou je meure ! Troisième matelot. La danseuse ? Jean. La danseuse ? Oui, vraiment, la même qui jouait Dans le Palais d’Amour. Palforio, rentrant. Dans le Palais d’ s’il vous plaît, Le seigneur Rafael est-il hors, je vous prie ? Troisième matelot. Oui, monsieur. Palforio. Oui, mis dans mon hôtellerie. Ce glorieux seigneur ? Troisième matelot. Ce glorieux seigneur ?Non ; on l’a mis ici. Un valet, sortant de la maison. De la part du seigneur Rafael Garuci, Remercîments à tous, et voilà de quoi boire. Matelots. Vive le Garuci ! Palforio. Vive le Garuci !Que Dieu serve sa gloire ! Cet excellent seigneur a-t-il rouvert les yeux, S’il vous plaît ? Un valet. S’il vous plaît ?Grand merci, mon brave homme, il va mieux. Holà ! retirez-vous ! Ma maîtresse vous prie De laisser en repos dormir Sa Seigneurie. Scène II Chez la Camargo. RAFAEL, couché sur une chaise longue ; LA CAMARGO, assise. Camargo. Rafael, avouez que vous ne m’aimez plus. Rafael. Pourquoi ? — d’où vient cela ? — Vous me voyez perclus, Salé comme un hareng ! — Suis-je, de grâce, un homme À vous faire ma cour ? — Quand nous étions à Rome, L’an passé… — Camargo. L’an passé… —Rafael, avouez, avouez Que vous ne m’aimez plus. Rafael. Que vous ne m’aimez plus.— Bon ! comme vous avez L’esprit fait ! — Pensez-vous, madame, que j’oublie Vos bontés ? Camargo. Vos bontés ?C’est le vrai défaut de l’Italie, Que ses soleils de juin font l’amour passager. — Quel était près de vous ce visage étranger, Dans ce yacht ? Rafael. Dans ce yacht ?Dans ce yacht ? Camargo. Dans ce yacht ? Dans ce yacht ?Oui. Rafael. Dans ce yacht ? Dans ce yacht ? je suppose, Laure. — Camargo. Laure. —Non. — Rafael. Laure. —Non. —C’était donc la Cydalise, — ou Rose. Cela vous déplaît-il ? Camargo. Cela vous déplaît-il ?Nullement. — La moitié D’un violent amour, c’est presque une amitié, N’est-ce pas ? Rafael. N’est-ce pas ?Je ne sais. D’où vous vient cette idée ? Philosopherons-nous ? Camargo. Philosopherons-nous ?Je ne suis pas fâchée De vous voir. — À propos, je voulais vous prier De me permettre… — Rafael. De me permettre… —À vous ? — Quoi ? Camargo. De me permettre… —À vous ? — Quoi ?De me marier. Rafael. De vous marier ? Camargo. De vous marier ?Oui. Rafael. De vous marier ? de bon ? — Sur mon âme, Vous m’en voyez ravi. Mariez-vous, madame ! Camargo. Vous n’en aurez nulle ombre, et nul déplaisir ! Rafael. Vous n’en aurez nulle ombre, et nul déplaisir !Non. Et du nouvel époux peut-on dire le nom ? Foscoli, je suppose ? Camargo. Foscoli, je suppose ?Oui, Foscoli lui-même. Rafael. Parbleu ! j’en suis charmé ; c’est un garçon que j’aime, Bonne lignée, et qui vous aime fort aussi. Camargo. Et vous me pardonnez de vous quitter ainsi ? Rafael. De grand cœur ! Écoutez, votre amitié m’est chère ; Mais parlons franc. Deux ans, c’est un peu long. Qu’y faire ? C’est l’histoire du cœur. — Tout va si vite en lui ! Tout y meurt, comme un son, tout, excepté l’ennui ! Moi qui vous dis ceci, que suis-je ? une cervelle Sans fond. — La tête court, et les pieds après elle ; Et, quand viennent les pieds, la tête au plus souvent Est déjà lasse, et tourne où la pousse le vent ! Tenez, soyons amis, et plus de jalousie. Mariez-vous. — Qui sait ? s’il nous vient fantaisie De nous reprendre, eh bien, nous nous reprendrons — hein ? Camargo. Très-bien. Rafael. saint Joseph ! je vous donne la main Pour aller à l’église et monter en carrosse ! Vive l’hymen ! — Ceci, c’est mon présent de noce, — Il l’embrasse. Et j’y joindrai ceci pour souvenir de moi. Camargo. Quoi ! votre éventail ! Rafael. Quoi ! votre éventail !Oui. N’est-il pas beau, ma foi ? Il est large à peu près comme un quartier de lune, — Cousu d’or comme un paon, — frais et joyeux comme une Aile de papillon, — incertain et changeant Comme une femme. — Il a des paillettes d’argent Comme Arlequin. — Gardez-le, il vous fera peut-être Penser à moi ; c’est tout le portrait de son maître. Camargo. Le portrait en effet ! — Ô malédiction ! Misère ! — Oh ! par le ciel, honte et dérision !… Homme stupide, as-tu pu te prendre à ce piège Que je t’avais tendu ? — Dis ! Qui suis-je ? — Que fais-je ? — Va, tu parles avec un front mal essuyé De nos baisers d’hier. — Oh ! c’est honte et pitié ! Va, tu n’es qu’une brute, et tu n’as qu’une joie Insensée, en pensant que je lâche ma proie ! Quand je devrais aller, nu-pieds, t’attendre au coin Des bornes, si caché que tu sois et si loin, J’irai. — Crains mon amour, Garuc’, il est immense Comme la mer ! — Ma fosse est ouverte ; mais pense Que je viendrai d’abord par le dos t’y pousser. Qui peut lécher peut mordre, et qui peut embrasser Peut étouffer. — Le front des taureaux en furie, Dans un cirque, n’a pas la cinquième partie De la force que Dieu met aux mains des mourants. Oh ! je te montrerai si c’est après deux ans, Deux ans de grincements de dents et d’insomnie, Qu’une femme pour vous s’est tachée et honnie, Qu’elle n’a plus au monde, et pour n’en mourir pas, Que vous, que votre col où pendre ses deux bras, Qu’elle porte un amour à fond, comme une lame Torse, qu’on n’ôte plus du cœur sans briser l’âme ; Si c’est alors qu’on peut la laisser, comme un vieux Soulier qui n’est plus bon à rien. Rafael. Soulier qui n’est plus bon à ! les beaux yeux ! Quand vous vous échauffez ainsi, comme vous êtes Jolie ! Camargo. Jolie !Oh ! laissez-moi, monsieur, ou je me jette Le front contre ce mur ! — Rafael, l’attirant. Le front contre ce mur ! —La, la, modérez-vous. Ce mur vous ferait mal ; ce fauteuil est plus doux. Ne pleurez donc pas tant. — Ce que j’ai dit, mon ange, Après votre demande, était-il donc étrange ? Je croyais vous complaire en vous parlant ainsi. Mais — je n’en pensais pas une parole. — Camargo. Mais — je n’en pensais pas une parole. —Oh ! si ! Si ! vous parliez franc. Rafael. Si ! vous parliez L’avez-vous bien pu croire ? Vous me faisiez, un conte, et j’ai fait une histoire ! Calmez-vous. — Je vous aime autant qu’au premier jour, Ma belle ! — mon bijou ! — mon seul bien ! — mon amour ! Camargo. Mon Dieu ! pardonnez-lui, s’il me trompe ! Rafael. Mon Dieu ! pardonnez-lui, s’il me trompe !Cruelle ! Doutez-vous de ma flamme en vous voyant si belle ?Il tourne la glace. Dis, l’amour, qui t’a fait l’œil si noir, ayant fait Le reste de ton corps d’une goutte de lait ? Parbleu ! quand ce corps-là de sa prison s’échappe, Gageons qu’il passerait par l’anneau d’or du pape ? Camargo. Allez voir s’il ne vient personne. Rafael, à part. Allez voir s’il ne vient ! quel ennui ! Camargo, seule un moment, le regardant s’éloigner. — Cela ne se peut pas. — Je suis trompée ! Et lui Se rit de moi. Son pas, son regard, sa parole, Tout me le dit. — Malheur ! Oh ! je suis une folle ! Rafael, revenant. Tout se tait au dedans comme au dehors. — Ma foi, Vous avez un jardin superbe. Camargo. Vous avez un jardin ; J’attends de votre amour une marque certaine. Rafael. On vous la donnera. Camargo. On vous la soir je pars pour Vienne ; M’y suivrez-vous ? Rafael. M’y suivrez-vous ?Ce soir ! — Était-ce pour cela Qu’il fallait regarder si l’on venait ? Camargo. Qu’il fallait regarder si l’on venait ? Holà ! Lætitia ! Lafleur ! Pascariel ! Lætitia, entrant. Lætitia ! Lafleur Pascariel !Madame ! Camargo. Demandez des chevaux pour ce soir. Exit Lætitia. Rafael. Demandez des chevaux pour ce mon âme, Vous avez des vapeurs, madame, assurément. Camargo. Me suivrez-vous ? Rafael. Me suivrez-vous ? Ce soir ! à Vienne ? — Non, vraiment, Je ne puis. Camargo. Je ne donc, Garuci. Je vous laisse. — Je pars seule. — Soyez plus heureux en maîtresse. Rafael. En maîtresse ? heureux moi ? — Ma parole d’honneur. Je n’en ai jamais eu. Camargo, hors d’elle. Je n’en ai jamais donc ? Rafael. Je n’en ai jamais donc ?Mon cœur, Ne recommencez pas à vous fâcher. Camargo. Ne recommencez pas à vous celle De tantôt ? Quels étaient ces gens ? — Que faisait-elle, Cette femme ? — J’ai vu ! — Voudrais-tu t’en cacher ? Quelque fille, à coup sur. — J’irai lui cravacher La figure ! — Rafael. La figure ! —Ah ! tout beau, ma belle Bradamante. Tout à l’heure, voyez, vous étiez si charmante ! Camargo. Tout à l’heure j’étais insensée ; — à présent Je suis sage ! Rafael. Je suis sage !Eh ! mon Dieu, l’on vous fâche en faisant Vos plaisirs ! — J’étais là , près de vous. — Vous me dites D’aller là regarder si l’on vient. — Je vous quitte, Je reviens. — Vous partez pour Vienne Par la croix De Jésus ! qui saurait comment faire ? Camargo. De Jésus ! qui saurait comment faire ?Autrefois, Montrant son lit. Quand je te disais Va ! » c’était à cette place ! Tu t’y couchais sans moi. — Tu m’appelais par grâce ! — Moi, je ne venais pas. — Toi, tu priais. — Alors J’approchais lentement, — et tes bras étaient forts Pour me faire tomber sur ton cœur ! — Mes caprices Étaient suivis alors, — et tous étaient justices. Tu ne te plaignais pas ; c’était toi qui pleurais ! Toi qui devenais pâle, et toi qui me nommais Ton inhumaine ! — Alors étais-je ta maîtresse ? Rafael, se jetant sur le lit. Mon inhumaine ! allons ! ma reine ! ma déesse ! Je vous attends, voyons ! Les champs-clos sont rompus ! M’osez-vous tenir tête ? Camargo, dans ses bras. M’osez-vous tenir tête ?Ah ! tu ne m’aimes plus ! Scène III Devant la maison de la Camargo. L’abbé ANNIBAL DESIDERIO, descendant de sa chaise ; Musiciens, porteurs. L’abbé. Holà ! dites, marauds, — est-ce pas là que loge La Camargo ? Un porteur. La Camargo ?Seigneur, c’est là . — Proche l’horloge Saint-Vincent, tout devant ; ces rideaux que voici, C’est sa chambre à coucher. L’abbé. C’est sa chambre à pour toi, merci. Parbleu ! cette soirée est propice, et je pense Que mes lieux pourraient bien avoir leur récompense. Lu lune ne va pas larder à se lever ; La chose au premier coup peut ici s’achever. Têtebleu ! c’est le moins qu’un homme de ma sorte Ne s’aille pas morfondre à garder une porte ; Je ne suis pas des gens qu’on laisse s’enrouer. — Or, vous autres coquins, qu’allez-vous nous jouer ? — Piano, signor basson, — amoroso ! la dame Est une oreille fine ! — Il faudrait à ma flamme Quelque mi bémol, — hein ? Je m’en vais me cacher Sous ce contrevent-là ; c’est sa chambre à coucher, N’est-ce pas ? Un porteur. N’est-ce pas ?Oui, seigneur. L’abbé. N’est-ce pas ? Oui, ne puis trop vous dire D’aller bien lentement. — C’est un cruel martyre Que le mien ! Têtebleu ! je me suis ruiné Presque à moitié, le tout pour avoir trop donné À mes divinités de soupers et d’aubades. Musiciens. Andantino, seigneur ! Musique. L’abbé. Andantino, seigneur !Tous ces airs-là sont fades. Chantez tout bonnement Belle Philis, » ou bien Ma Climène. » Musiciens. Ma Climène. »Allegro, seigneur ! Musique. L’abbé. Ma Climène. »Allegro, seigneur !Je ne vois rien À cette fenêtre. — Hum !La musique continue. À cette fenêtre. — Hum !Point. — c’est une barbare. — Rien ne bouge. — Allons, toi, donne-moi ta guitare. Il prend une guitare. Fi donc ! pouah !Il en prend une autre. Fi donc ! pouah !Hum ! je vais chanter, moi. — Ces marauds Se sont donné, je crois, le mot pour chanter faux. Il chante. Pour tant de peine et tant d’émoi… Hum ! mi, mi, la. Pour tant de peine et tant d’émoi… Hum ! mi, mi, mi. — Bon. Pour tant de peine et tant d’émoi Où vous m’avez jeté, Climène, Ne me soyez point inhumaine, Et, s’il se peut, secourez-moi,Pour tant de peine. Hum ! mi, mi, mi. — ! rien ne remue ! Va-t-elle me laisser faire le pied de grue ? Têtebleu ! nous verrons ! Il chante. De tant de peine, mon amour… Rafael, sortant de la maison, s’arrête sur le pas de la porte. Têtebleu ! nous verrons !Ah ! ah ! monsieur l’abbé Desiderio ! — Parbleu ! vous êtes mal tombé. L’abbé. Mal tombé, monsieur ! — Mais pas si mal. Je vous chasse Peut-être ? Rafael. Peut-être ?Point du tout ; je vous laisse la place. Sur ma parole, elle est bonne à prendre, et, de plus, Toute chaude. L’abbé. Toute monsieur, pour faire abus Des oreilles d’un homme, il ne faut pas une heure — Il ne faut qu’un mot. Rafael. Il ne faut qu’un ? j’aurais cru, que je meure, Les vôtres sur ce point moins promptes, aux façons Dont les miennes d’abord avaient pris vos chansons. L’abbé. Tête et ventre ! monsieur, faut-il qu’on vous les coupe ? Rafael. La, tout beau, sire ! Il faut d’abord, moi, que je soupe. Je ne me suis jamais battu sans y voir clair, Ni couché sans souper. L’abbé. Ni couché sans souper. Pour quelqu’un du bel air, Vous sentez le mauvais soupeur, mon gentilhomme. Le touchant. Ce vieux surtout mouillé ! Qu’est-ce donc qu’on vous nomme ? Rafael. On me nomme seigneur Vide-bourse, casseur De pots ; c’est, en anglais, blockhead, maître tueur D’abbés. — Pour le seigneur Garuci, c’est son père Le plus communément qui couche avec ma mère. L’abbé. S’il y couche demain, il court, je lui prédis, Risque d’avoir pour femme une mère sans fils. Votre logis ? Rafael. Votre logis ?Hôtel du Dauphin bleu. La porte À droite, au petit Parc. L’abbé. À droite, au petit armes ? Rafael. À droite, au petit armes ?Peu m’importe ; Fer ou plomb, balle ou pointe. L’abbé. Fer ou plomb, balle ou votre heure ? Rafael. Fer ou plomb, balle ou votre heure ?Midi. L’abbé le salue et retourne à sa chaise. Ce petit abbé-là m’a l’air bien dégourdi. Parbleu ! c’est un bon diable ; il faut que je l’invite À souper. — Hé ! monsieur, n’allez donc pas si vite ! L’abbé. Qu’est-ce, monsieur ? Rafael. Qu’est-ce, monsieur ?Vos gens s’ensauvent comme si La fièvre à leurs talons les emportait d’ici. Demeurez, pour l’amour de Dieu, que je vous pose Un problème d’algèbre. — Est-ce pas une chose Véritable, et que voit quiconque a l’esprit sain, Que la table est au lit ce qu’est la poire au vin ? De plus, deux, gens de bien, à s’aller mettre en face Sans s’être jamais vus, ont plus mauvaise grâce, Assurément, que, quand il pleut, une catin À descendre de fiacre en souliers de satin. Donc, si vous m’en croyez, nous souperons ensemble ; Nous nous connaîtrons mieux pour demain. Que t’en semble, Abbé ? L’abbé. Abbé ? Parbleu ! marquis, je le veux, et j’y vais. Il sort de sa chaise. Rafael. Voilà les musiciens qui sont déjà trouvés ; Et pour la table, — holà ! Palforio ! l’auberge !Frappant. Cette porte est plus rude à forcer qu’une vierge. Palforio ! manant, tripier, sac à boyaux ! Vous verrez qu’à cette heure ils dorment, les bourreaux ! Il jette une pierre dans la vitre. Palforio, à la fenêtre. Quel est le bon plaisir de Votre Courtoisie ? Rafael. Fais-nous faire à souper. Certes, l’heure est choisie Pour nous laisser ainsi casser tous tes carreaux ! Dépêche, sac à vin ! — Pardieu ! si j’étais gros Comme un muid, comme toi, je dirais qu’on me porte, En guise d’écriteau, sur le pas de ma porte ; On saurait où me prendre au moins. Palforio. On saurait où me prendre au Très-excellent seigneur. Rafael. Très-excellent démène-toi. Vite, va mettre en l’air ta marmitonnerie. Donne-nous ton meilleur vin et ta plus jolie Servante ; embroche tout tes oisons, tes poulets, Tes veaux, tes chiens, tes chats, ta femme et tes valets ! — Toi, l’abbé, passe donc ; en joie ! et pour nous battre Après nous taperons, vive Dieu ! comme quatre. Scène IV La loge de la Camargo. — On la chausse. Camargo. Il ira. — Laissez-moi seule, et ne manquez pas Qu’on me vienne avertir quand ce sera mon pas. — C’est la règle, ô mon cœur ! — Il est sûr qu’une femme Met dans une âme aimée une part de son âme. Sinon, d’où pourrait-elle et pourquoi concevoir La soif d’y revenir et l’horreur d’en déchoir ? Au contraire, un cœur d’homme est comme une marée Fuyarde des endroits qui l’ont mieux attirée. Voyez qu’en tout lien, l’amour à l’un grandit Et par le temps empire, à l’autre refroidit. L’un, ainsi qu’un cheval qu’on pique à la poitrine, En insensé toujours contre la javeline Avance et se la pousse au cœur jusqu’à mourir. L’autre, dès que ses flancs commencent à s’ouvrir, Qu’il sent le froid du fer, et l’aride morsure Aller chercher le cœur au fond de la blessure, Il prend la fuite en lâche, et se sauve d’aimer. — Ah ! que puissent mes yeux quelque part allumer Une plaie à la mienne en misère semblable, Et je serai plus dure et plus inexorable Qu’un pauvre pour son chien, après qu’un jour entier Il a dit Pour l’amour de Dieu ! » sans un denier. — Suis-je pas belle encor ? — Pour trois nuits mal dormies, Ma joue est-elle creuse, ou mes lèvres blêmies ? Vrai Dieu ! ne suis-je plus la Camargo ? — Sait-on, Sous mon rouge, d’ailleurs, si je suis pâle ou non ? Va, je suis belle encor ! — C’est ton amour, perfide Garuci, que déjà le temps efface et ride, Non mon visages — Un nain contrefait et boiteux, Voulant jouer Phœbus, lui ressemblerait mieux, Qu’aux façons d’une amour fidèle et bien gardée, L’allure d’une amour défaillante et fardée. Ah ! c’est de ce matin que ton cœur m’est connu, Car en le déguisant tu me l’as mis à nu. Certes, c’est un loisir magnifique et commode Que la paisible ardeur d’une intrigue à la mode ! — Qu’est-ce alors ? — C’est un flot qui nous berce rêvant ! C’est l’ombre qui s’enfuit d’une fumée au vent ! Mais que l’ombre devienne un spectre, et que les ondes S’enfoncent sous les pieds, vivantes et profondes, Le mal aimant recule, et le bon reste seul. Oh ! que dans sa douleur ainsi qu’en un linceul Il se couche à cette heure et dorme ! La pensée D’un homme est de plaisirs et d’oublis traversée Une femme ne vit et ne meurt que d’amour ; Elle songe une année à quoi lui pense un jour ! Lætitia, entrant. Madame, on vous attend à la troisième scène. Camargo. Est-ce la Monanteuil, ce soir, qui fait la reine ? Lætitia. Oui, madame, et monsieur de Monanteuil, Sylvain. Camargo. Fais porter cette lettre à l’hôtel du Dauphin. Scène V Une salle à manger très-riche. GARUCI, à table avec l’abbé ANNIBAL, musiciens. Rafael. Oui, mon abbé, voilà comme, une après-dînée, Je vis, pris, et vainquis la Camargo, l’année Dix-sept cent soixante-un de la nativité De Notre-Seigneur. L’abbé. De Notre-Seigneur.— Triste ! oh ! triste, en vérité ! — Rafael. Triste, abbé ? — Vous avez le vin triste ? — Italie, Voyez-vous, à mon sens, c’est la rime à folie. Quant à mélancolie, elle sent trop les trous Aux bas, le quatrième étage, et les vieux sous. On dit qu’elle a des gens qui se noient pour elle. — Moi, je la noie. Il boit. L’abbé. — Moi, je la quand vous eûtes cette belle Camargo, vous l’aimiez fort ? Rafael. Camargo, vous l’aimiez fort ?Oh ! très-fort ! — et puis, À vous dire le vrai, je m’y suis très-bien pris. Contre un doublon d’argent un cœur de fer s’émousse. Ce fut, le premier mois, l’amitié la plus douce Qui se puisse inventer. Je m’en allais la voir, Comme ça, tout au saut du lit, — ou bien le soir Après le spectacle. — Oh ! c’était une folie Dans ce temps-là ! — Pauvre ange ! — Elle était bien jolie ! Si bien qu’après un mois je cessai d’y venir. Elle de remuer terre et ciel, — moi de fuir. — Pourtant je fus trouvé — reproches, pleurs, injure, Le reste à l’avenant. — On me nomma parjure, C’est le moins. — Je rompis tout net. — Bon. — Cependant Nous nous allions fuyant et l’un l’autre oubliant. — Un beau soir, je ne sais comment se fit l’affaire, La lune se levait cette nuit-là si claire, Le vent était si doux, l’air de Rome est si pur ! — C’était un petit bois qui côtoyait un mur, Un petit sentier vert, — je le pris, — et, Jean comme Devant, je m’en allai l’éveiller dans son somme. L’abbé. Et vous l’avez reprise ? Rafael, cassant son verre. Et vous l’avez reprise ?Aussi vrai que voilà Un verre de cassé. — Mon amour s’en alla Bientôt. — Que voulez-vous ? moi, j’ai donné ma vie À ce dieu fainéant qu’on nomme fantaisie. C’est lui qui, triste ou fou, de face ou de profil, Comme un polichinel me traîne au bout d’un fil ; Lui qui tient les cordons de ma bourse et la guide De mon cheval ; jaloux, badaud, constant, perfide. En chasse au point du jour dimanche, et vendredi Cloué sur l’oreiller jusque et passé midi. Ainsi je vais en tout, — plus vain que la fumée De ma pipe, — accrochant tous les pavés. — L’année Dernière, j’étais fou de chiens d’abord, et puis De femmes. — Maintenant, ma foi, je ne le suis De rien. — J’en ai bien vu, des petites princesses ! La première surtout m’a mangé de caresses ; Elle m’a tant baisé, pommadé, balloté ! C’est fini, voyez-vous — celle-là m’a gâté. Quant à la Camargo, vous la pouvez bien prendre Si le cœur vous en dit ; mais je me veux voir pendre Plutôt que si ma main de sa nuque approchait. L’abbé. Triste ! Rafael. Triste !Encor triste, abbé ? Aux ! Encor triste, abbé ?Hé ! messieurs de l’archet, En ut ! égayez donc un peu Sa Courtoisie. Musique. Ma foi, voilà deux airs très-beaux. Il parle en se promenant, pendant que l’orchestre joue piano. Ma foi, voilà deux airs poésie, Voyez-vous, c’est bien. — Mais la musique, c’est mieux. Pardieu ! voilà deux airs qui sont délicieux ; La langue sans gosier n’est rien. — Voyez le Dante Son Séraphin doré ne parle pas, — il chante ! C’est la musique, moi, qui m’a fait croire en Dieu. — Hardi, ferme, poussez, — crescendo !Hardi, ferme, poussez, — crescendo !Mais, parbleu ! L’abbé s’est endormi. — Le voilà sous la table. C’est vrai qu’il a le vin mélancolique en diable. Ô doux, ô doux sommeil ! ô baume des esprits ! Reste sur lui, sommeil ! Dormir quand on est gris, C’est, après le souper, le premier bien du monde. Palforio, entrant. Une lettre, seigneur. Rafael, après avoir lu. Une lettre, le ciel la confonde ! Dites que je n’irai certes pas. — Attendez ! Si, — c’est cela, — parbleu ! — je — non — si fait, restez. Dites que l’on m’attend. Exit Palforio. Dites que l’on m’ l’abbé ! — Sur mon âme, Il ronfle en enragé. L’abbé. Il ronfle en madame ; Est-ce que je dormais ? Rafael. Est-ce que je dormais ?Eh ! voulez-vous avoir La Camargo, l’ami ? L’abbé, se levant. La Camargo, l’ami ?Tête et ventre ! ce soir ? Rafael. Ce soir même. — Écoutez bien — elle doit m’attendre Avant minuit. — Il est onze heures, — il faut prendre Mon habit. — L’abbé se déboutonne. Mon habit. —Me donner le vôtre. L’abbé ôte son manteau. Mon habit. —Me donner le irez À la petite porte, et là vous tousserez Deux fois ; toussez un peu. L’abbé. Deux fois ; toussez un ! hum ! Rafael. Deux fois ; toussez un ! hum !C’est à merveille. Nous sommes à peu près de stature pareille. Changeons d’habit. — Ils changent. Changeons d’habit. —Parbleu ! cet habit de cafard Me donne l’encolure et l’air d’un escobard. Le marquis Annibal ! l’abbé Garuci ! — Certe, Le tour est des meilleurs. Or donc, la porte ouverte, On vous introduira piano. — Mais n’allez pas Perdre la tête là . — Prenez-la dans vos bras, Et tout d’abord du poing renversez la chandelle. — L’alcôve est à main droite en entrant. — Pour la belle, Elle ne dira mot ; ne réponds rien. — L’abbé. Elle ne dira mot ; ne réponds rien. —J’y vais. Marquis, c’est à la vie, à la mort. — Si jamais Ma maîtresse te plaît, à tel jour, à telle heure Que ce soit, écris-moi trois mots, et que je meure Si tu ne l’as le soir ! Il sort. Rafael lui crie par la fenêtre. Si tu ne l’as le soir ! L’abbé, si vous voulez Qu’on vous prenne pour moi tout à fait, embrassez La servante en entrant. — Holà ! marauds, qu’on dise À quelqu’un de m’aller chercher la Cydalise ! Scène VI Chez la Camargo. Camargo, entrant. Déchausse-moi. — J’étouffe ! — A-t-on mis mon billet ? Lætitia. Oui, madame. Camargo. Oui, qu’a-t-on répondu ? Lætitia. Oui, qu’a-t-on répondu ?Qu’il viendrait. Camargo. Était-il seul ? Lætitia. Était-il seul ?Avec un abbé. — Camargo. Était-il seul ? Avec un abbé. —Qui se nomme ?… Lætitia. Je ne sais pas. — Un gros, joufflu, court, petit homme. Camargo. Lætitia ! Lætitia. Lætitia !Madame ? Camargo. Lætitia ! Madame ?Approchez un peu. — J’ai Depuis le mois dernier bien pâli, bien changé, N’est-ce pas ? Je fais peur. — Je ne suis pas coiffée ; Et vous me serrez tant, je suis tout étouffée. Lætitia. Madame a le plus beau teint du monde ce soir. Camargo. Vous croyez ? — Relevez ce rideau. — Viens t’asseoir Près de moi. — Penses-tu, toi, que, pour une femme, C’est un malheur d’aimer, — dans le fond de ton âme ? Lætitia. Un malheur, quand on est riche ! L’abbé, dans la rue. Un malheur, quand on est riche !Hum ! Camargo. Un malheur, quand on est riche ! Hum !N’entends-tu pas Qu’on a toussé ? — Pourtant ce n’était point son pas. Lætitia. Madame, c’est sa voix. — Je vais ouvrir la porte. Camargo. Versez-moi ce flacon sur l’épaule. La Camargo reste un moment seule, en silence. Lætitia rentre, accompagnée de l’abbé sous le manteau du Garuci, puis se retire aussitôt. Le coin du manteau accroche en passant la lampe et la se jetant à son cou. Versez-moi ce flacon sur l’ ! La Camargo est assise ; elle se lève et va à son alcôve. L’abbé la suit dans l’obscurité. Elle se retourne et lui tend la main ; il la Versez-moi ce flacon sur l’ !Main-forte ! Au secours ! ce n’est pas lui ! Tous deux restent immobiles un Au secours ! ce n’est pas lui !Madame, en pensant… — Camargo. Au guet ! — Mais quel est donc cet homme ? L’abbé, lui mettant son mouchoir sur la bouche. Au guet ! — Mais quel est donc cet homme ?Ah ! tête et sang ! Ma belle dame, un mot. — Je vous tiens, quoi qu’on fasse. Criez si vous voulez ; mais il faut qu’on en passe Par mes volontés. Camargo, étouffant. Par mes ! L’abbé. Par mes !Écoute ! si tu veux Que nous passions une heure à nous prendre aux cheveux, À ton gré, je le veux aussi ; mais je te jure Que tu n’y peux gagner beaucoup, — et sois bien sûre Que tu n’y perdras rien. — Madame, au nom du ciel, Vous allez vous blesser. — Si mon regret mortel De vous offenser, si — Camargo, arrache la boucle de sa ceinture et l’en frappe au visage. De vous offenser, si —Tu n’es qu’un misérable Assassin ! — Au secours ! L’abbé. Assassin ! — Au secours !Soyez donc raisonnable, Madame ! calmez-vous. — Voulez-vous que vos gens Fassent jaser le peuple ou venir les sergents ? Nous sommes seuls, la nuit, — et vous êtes trompée Si vous pensez qu’on sort à minuit sans épée. Lorsque vous m’aurez fait éventrer un valet Ou deux, m’en croira-t-on moins heureux, s’il vous plaît ? Et n’en prendra-t-on pas le soupçon légitime, Qu’étant si criminel, j’ai commis tout le crime ? Camargo. Et qui donc es-tu, toi qui me parles ainsi ? L’abbé. Ma foi, je n’en sais rien. — J’étais le Garuci Tout à l’heure, à présent… — Camargo, le menant à l’endroit de la fenêtre où donne la lune. Tout à l’heure, à présent… —Viens ici. — Sur ta vie Et le sang de tes os, réponds. — Que signifie Ce chiffre ? L’abbé. Ce chiffre ?Ah ! pardonnez, madame, je suis fou D’amour de vous. — Je suis venu sans savoir où. Ah ! ne me faites pas cette mortelle injure, Que de me croire un cœur fait à cette imposture. Je n’étais plus moi-même, et le ciel m’est témoin Que de vous mériter nul n’a pris plus de soin. Camargo. Je te crois volontiers, en effet, la cervelle Troublée. — Et cette plaque, enfin, d’où te vient-elle ? L’abbé. De lui. Camargo. De ? — L’as-tu donc égorgé ? L’abbé. De ? — L’as-tu donc égorgé ? Moi ? non point. Je l’ai laissé très-vif, une bouteille au poing. Camargo. Quel jeu jouons-nous donc ? L’abbé. Quel jeu jouons-nous donc ?Eh ! madame, lui-même Ne pouvait-il pas seul trouver ce stratagème ? Et ne voyez-vous point que lui seul m’a donné Ce dont je devais voir mon amour couronné ? Et quel autre que lui m’eût dit votre demeure ? M’eût prêté ses habits ? m’eût si bien marqué l’heure ? Camargo. Rafael ! Rafael ! le jour que de mon front Mes cheveux sur mes pieds un à un tomberont, Que ma joue et mes mains bleuiront comme celles D’un noyé, que mes yeux laisseront mes prunelles Tomber avec mes pleurs, alors tu penseras Que c’est assez souffert, et tu t’arrêteras ! L’abbé. Mais — Camargo. Mais —Et quel homme encor me met-il à sa place ? De quelle fange est l’eau qu’il me jette à la face ? Viens, toi. — Voyons lequel est écrit dans tes yeux, Du stupide ou du lâche, ou si c’est tous les deux. L’abbé. Madame — Camargo. Madame —Je t’ai vu quelque part. L’abbé. Madame —Je t’ai vu quelque le comte Foscoli. Camargo. cela. — Si ce n’était de honte, Ce serait de pitié qu’à te voir ainsi fait, Comme un bouffon manqué, le cœur me lèverait ! Voyons, qu’avais-tu bu ? dans cette violence, Pour combien est l’ivresse, et combien l’impudence ? Va, je te crois sans peine, et lui seul sûrement Est le joueur ici qui t’a fait l’instrument. Mais écoute. — Ceci vous sera profitable. — Va-t’en le retrouver, s’il est encore à table ; Dis-lui bien ton succès, et que lorsqu’il voudra Prêter à ses amis des filles d’Opéra… — L’abbé. D’Opéra ! — Hé parbleu ! vous seriez bien surprise Si vous saviez qu’il soupe avec la Cydalise ! Camargo. Quoi ! Cydalise ! L’abbé. Quoi ! Cydalise !Eh oui ! gageons que l’on entend D’ici les musiciens, s’il fait un peu de vent. Tous deux prêtent l’oreille à la fenêtre. On entend une symphonie lente dans l’éloignement. Camargo. Ciel et terre ! c’est vrai ! L’abbé. Ciel et terre ! c’est vrai !C’est ainsi qu’il oublie Auprès d’elle, qui n’est ni jeune ni jolie, La perle de nos jours ! Ah ! madame, songez Que vos attraits surtout par là sont outragés. Songez au temps, à l’heure, à l’insulte, à ma flamme ; Croyez que vos bontés — Camargo. Croyez que vos bontés —Cydalise ! L’abbé. Croyez que vos bontés —Cydalise ! Eh ! madame, Ne daignerez-vous pas baisser vos yeux sur moi ? Si le plus absolu dévouement… Camargo. Si le plus absolu dévouement…Lève-toi. As-tu le poignet ferme ? L’abbé. As-tu le poignet ferme ? Hai… Camargo. As-tu le poignet ferme ? Hai… Voyons ton épée. L’abbé. Madame, en vérité, vous vous êtes coupée ! Camargo. Eh quoi ! pâle avant l’heure, et déjà faiblissant ? L’abbé. Non pas ; mais, têtebleu ! voulez-vous donc du sang ? Camargo. Abbé, je veux du sang ! J’en suis plus altérée Qu’une corneille au vent d’un cadavre attirée. Il est là -bas, dis-tu ? — cours-y donc, — coupe-lui La gorge, et tire-le par les pieds jusqu’ici. Tords-lui le cœur, abbé, de peur qu’il n’en réchappe. Coupe-le en quatre, et mets les morceaux dans la nappe ; Tu me l’apporteras, et puisse m’écraser La foudre, si tu n’as par blessure un baiser ! Tu tressailles, Romain ? C’est une faute étrange, Si tu te crois ici conduit par ton bon ange ! Le sang te fait-il peur ? Pour t’en faire un manteau De cardinal, il faut la pointe d’un couteau. Me jugeais-tu le cœur si large, que j’y porte Deux amours à la fois, et que pas un n’en sorte ? C’est une faute encor ; mon cœur n’est pas si grand, Et le dernier venu ronge l’autre en entrant. L’abbé. Mais, madame, vraiment, c’est… Est-ce que ?… Sans doute C’est un assassinat. — Et la justice ? Camargo. C’est un assassinat. — Et la justice ?Écoute. Je t’en supplie à deux genoux. L’abbé. Je t’en supplie à deux je me bats Avec lui demain, moi. Cela ne se peut pas ; Attendez à demain, madame. — Camargo. Attendez à demain, madame. —Et s’il te tue ? — Demain ! Et si j’en meurs ? — Si je suis devenue Folle ? — Si le soleil, se prenant à pâlir, De ce sombre horizon ne pouvait pas sortir ? On a vu quelquefois de telles nuits au monde. Demain ! le vais-je attendre à compter par seconde Les heures sur mes doigts, ou sur les battements De mon cœur, comme un juif qui calcule le temps D’un prêt ? — Demain ensuite, irai-je pour te plaire Jouer à croix ou pile, et mettre ma colère Au bout d’un pistolet qui tremble avec ta main ? Non pas. — Non ! aujourd’hui est à nous, mais demain Est à Dieu ! — L’abbé. Est à Dieu ! —Songez donc… — Camargo. Est à Dieu ! —Songez donc… —Annibal, je t’adore ! Embrasse-moi ! Il se jette à son cou. L’abbé. Embrasse-moi !Démons !! — Camargo. Embrasse-moi ! Démons !! —Mon cher amour, j’implore Votre protection. — Voyez qu’il se fait tard. — Me refuserez-vous ? — Tiens, tiens, prends ce poignard. Qui te verra passer ? il fait si noir ! L’abbé. Qui te verra passer ? il fait si noir !Qu’il meure, Et vous êtes à moi ? Camargo. Et vous êtes à moi ?Cette nuit. L’abbé. Et vous êtes à moi ? Cette une heure. Ah ! je ne puis marcher. — Mes pieds tremblent. — Je sens Je — je vois — Camargo. Je — je vois —Annibal ! je suis prête, et j’attends. Scène VII À l’auberge. RAFAEL est assis avec ROSE et CYDALISE. Rafael chante. Trivelin ou Scaramouche, Remplis ton verre à moitié ; Si tu le bois tout entier, Je dirai que tu te mouches Du pied. Je ne sais pas au fond de quelle pyramide De bouteilles de vin, au cœur de quel broc vide S’est caché le démon qui doit me griser, mais Je désespère encor de le trouver jamais. Cydalise. À toi, mon prince ! Rafael. À toi, mon prince !À toi, buvons à mort, déesse Ma foi, vive l’amour ! Au diable ma maîtresse ! La vie est à descendre un rude grand chemin ; Gai donc, la voyageuse, au coup du pèlerin ! Cydalise. Chante, je vais danser. Rafael. Chante, je vais dit. — Ah ! la jolie Jambe ! — Il se couche aux pieds de Rose, et prélude. Jambe ! —Je suis Hamlet aux genoux d’Ophélie. Mais, reine, ma folie est plus douce, et mes yeux Sous vos longs sourcils noirs invoquent d’autres dieux. Il chante. Si, dans les antres de Gnide, Aux bras de Vénus porté, Le vieux Jupiter, que ride Sa vieille immortalité, Dans la céleste furie, Me laissait finir sa vie, Qui jamais ne finira Dieux immortels, que je meure ! J’aimerais mieux un quart d’heure Chez la blanche Lydia. Que j’aime ces beaux seins qui battent la campagne ! Au menuet, danseuse ! — Et vous, du vin d’Espagne !à Rose. Et laissez vos regards avec le vin couler. Dieu merci, ma raison commence à s’en aller ! Cydalise. Tu me laisses danser toute seule ? Rafael. Tu me laisses danser toute seule ?Ma reine, Cela n’est pas bien dit. Il se lève. Cela n’est pas bien table nous gêne. Il la renverse du pied. Palforio, entrant. Seigneur, je ne puis dire autre chose, sinon Que de vous déranger je demande pardon ; Mais vous faites un bruit bien fort, et qui fait mettre Autour de ma maison le monde à la fenêtre. Veuillez crier moins haut. Rafael. Veuillez crier moins ! parbleu ! je crierai, Maître porte-bedaine, autant que je voudrai. Holà ! hé ! hohé ! ho ! Palforio. Holà ! hé ! hohé ! ho !Seigneur, je vous supplie D’observer qu’il est tard. Rafael. D’observer qu’il est paix, vieille truie ! Je suis abbé, d’abord. — Si vous dites un mot, Je vous excommunie. — Arrière, toi, pied-bot ! Il danse en chantant. Monsieur l’abbé, où courez-vous ? Vous allez vous casser le cou. Palforio. Seigneur, si vous criez, j’irai chercher la garde ; J’en demande pardon à Votre Honneur. — Rafael. J’en demande pardon à Votre Honneur. —Prends garde Que mon pied n’aille voir tes chausses. Palforio. Que mon pied n’aille voir tes ! à moi ! Je suis mort ! Rafael. Je suis mort !Ventrebleu ! je suis ici chez toi ; J’y suis pour mon plaisir, et n’en sortirai mie. Palforio. Seigneur, excusez-moi ; c’est mon hôtellerie, Et vous en sortirez. — À la garde ! Rafael, lui jetant une bouteille à la tête. Et vous en sortirez. — À la garde !Tiens ! Palforio. Et vous en sortirez. — À la garde ! Tiens !Ah ! Il tombe. Cydalise. Vous l’avez tué ! Rafael. Vous l’avez tué !Non. Cydalise. Vous l’avez tué ! fait. Rafael. Vous l’avez tué ! Rose. Vous l’avez tué ! fait. Rafael. Vous l’avez tué ! !Il le secoue. Eh ! Palforio, vieux porc ! Il sait mieux que personne Où vont, après leur mort, les gredins — Je m’étonne Que Satan ou Pluton, dès la première fois, Dans cette nuque chauve aient enfoncé les doigts. Ma foi, bonsoir ; le drôle a soufflé sa chandelle. Adieu, ventre sans tête. — Il faut partir, ma belle. Les sergents nous feraient payer les pots. — Allons. C’est dur de nous quitter sitôt. — Allons, partons. Je le croyais plus ferme, et que les vieilles âmes Se rouillaient à l’étui comme les vieilles lames. Cydalise. Paix ! on vient. Voix. Paix ! on guet ! Rafael. Paix ! on guet !Hein ? Je crois que les bourreaux Sont gens, Dieu me pardonne, à quérir les prévôts. Ne les attendons pas, mon ange. — Cette issue Secrète nous conduit, par la petite rue, À mon hôtel. Voix. À mon là . Cydalise. À mon Dieu ! si l’on entrait ! Rafael. Allons, le mantelet, le loup et le bonnet ; Par ici, par ici ; bonsoir, mes Cydalises. Cydalise. Bonsoir, mon prince. Un sergent, entrant. Bonsoir, mon ! en voilà deux de prises. Cydalise. Mon prince, sauvez-vous ! Le sergent. Mon prince, sauvez-vous !Qu’on le retienne ! Rafael. Mon prince, sauvez-vous Qu’on le retienne !!Il pleut Un peu, mais c’est égal. — Ma foi, sauve qui peut ! Il saute par la fenêtre. Un soldat. Sergent, nous n’avons rien. — Votre homme est passé maître Dans le saut périlleux. — Il a pris la fenêtre. Le sergent. Oh ! oh ! tenez-le bien ! — Que vois-je ? L’hôtelier Est mort. Courez tous vite, et sus le meurtrier ! Scène VIII Une rue au bord de la mer. RAFAEL descend le long d’un treillis ; ANNIBAL passe dans le fond. Rafael. Peste soit des barreaux ! Hé ! rendez-moi ma veste, Mon camarade ! Où donc vous sauvez-vous si preste ? Eh bien, et vos amours — que font-ils ? L’abbé. Eh bien, et vos amours — que font-ils ?Le voilà ! Rafael. On me poursuit, mon cher. — Je vous dirai cela ! Mais rendez-moi l’habit. L’abbé. Mais rendez-moi l’ crie. — On vous appelle ! Têtebleu ! qu’est-ce donc ? Rafael. Têtebleu ! qu’est-ce donc ?Bon ! une bagatelle. Je crois que j’ai tué quelqu’un là -bas. L’abbé. Je crois que j’ai tué quelqu’un ? Rafael. Je vous dirai cela ; mais l’habit seulement. L’abbé. L’habit ? non de par Dieu ! je ne veux pas du vôtre. Les sergents me prendraient pour vous. Rafael. Les sergents me prendraient pour bon apôtre ! Plusieurs gens traversent le théâtre. Attendez. — Donnez-moi ce manteau. — Bon. — Je vais Dire à ces gredins-là deux petits mots. L’abbé. Dire à ces gredins-là deux petits Je n’oserai tuer cet homme. Il s’assoit sur une pierre. Le sergent. Je n’oserai tuer cet ! je cherche Le seigneur Rafael. Rafael. Le seigneur moins qu’il ne se perche Sur quelque cheminée en manière d’oiseau, Qu’il n’entre dans la terre, ou qu’il ne saute à l’eau, Vous l’aurez à coup sûr. Le connaissez-vous ? Le sergent. Vous l’aurez à coup sûr. Le connaissez-vous ?Certe. J’ai son signalement. — C’est une plume verte Avec des bas orange. Rafael. Avec des bas vérité ! — Parbleu ! Vous n’aurez point de peine, et vous jouez beau jeu. Combien vous donne-t-on ? Le sergent. Combien vous donne-t-on ?Hai… Rafael. Combien vous donne-t-on ? Hai…Trouvez-vous qu’en somme, Votre prévôt vous ait assez payé votre homme ? Le bon sire est-il doux ou dur sur les écus ? Le sergent. Mais il n’en mourrait pas pour donner un peu plus. Mais je n’y pense pas. — Le ventre à la besogne, Et non le dos. — Mieux vaut la hart que la vergogne. Et puis, l’homme pendu, nous avons le pourpoint. Rafael. Sans compter les revers, s’il met l’épée au poing. Le sergent. J’ai de bons pistolets. Rafael. J’ai de bons — Et puis ? Le sergent. J’ai de bons — Et puis ?Ma canne De sergent. Rafael. De — Et puis ? Le sergent. De — Et puis ?Ce poignard de Toscane. Rafael. Très-excellent. — Et puis ? Le sergent. Très-excellent. — Et puis ?J’ai cette épée. Rafael. Très-excellent. — Et puis ? J’ai cette puis ? Le sergent. Et puis ! je n’ai plus rien. Rafael, le rossant. Et puis ! je n’ai plus voilà pour tes cris, Et pour tes pistolets. Le sergent. Et pour tes ! aïe ! Rafael. Et pour tes ! aïe !Et pour ta canne, Et pour ton fin poignard en acier de Toscane. Le sergent. Aïe ! aïe ! je suis mort ! Rafael. Aïe ! aïe ! je suis mort !Le seigneur Garuci Est sans doute au logis — On y va par ici. Il le chasse. C’est du don Juan, ceci. Revenant. C’est du don Juan, dis-tu du bonhomme ? Sauvons-nous maintenant. — Moi, je retourne à Rome. L’abbé va à lui, et lui met son poignard dans la gorge. Êtes-vous fou l’abbé ? — L’abbé ! Il tombe. Êtes-vous fou l’abbé ? — L’abbé !Je n’y suis pas. Ah ! malédiction ! Mais tu me le paieras !Il veut se relever. Mon coup de grâce, abbé ! Je suffoque ! Ah ! misère ! Mon coup, mon dernier coup, mon cher abbé. La terre Se roule autour de moi ; — miserere ! — Le ciel Tourne. Ah ! chien d’abbé, va ! par le Père Éternel !… Qu’attends-tu donc là , toi, fantôme, qui demeures Avec ces yeux ouverts ? L’abbé. Avec ces yeux ouverts ?Moi ? j’attends que tu meures. Rafael. Damnation ! Tu vas me laisser là crever Comme un païen, gredin, et ne pas m’achever ! Je ne te ferai rien ; viens m’achever. — Un verre D’eau, pour l’amour de Dieu ! — Tu diras à ma mère Que je donne mes biens à mon bouffon Pippo. Il meurt. L’abbé. Va, ta mort est ma vie, insensé ! Ton tombeau Est le lit nuptial où va ma fiancée S’étendre sous le dais de cette nuit glacée ! Maintenant le hibou tourne autour des falots ; L’esturgeon monstrueux soulève de son dos Le manteau bleu des mers, et regarde en silence Passer l’astre des nuits sur leur miroir immense ; La sorcière, accroupie et murmurant tout bas Des paroles de sang, lave pour les sabbats La jeune fille nue ; Hécate aux trois visages Froisse sa robe blanche aux joncs des marécages. Écoutez. — L’heure sonne ! et par elle est compté Chaque pas que le temps fait vers l’éternité. Va dormir dans la mer, cendre ! et que ta mémoire S’enfonce avec ta vie au cœur de cette eau noire ! Il jette le cadavre dans la mer. Vous, nuages, crevez ! essuyez ce chemin Que le pied, sans glisser, puisse y passer demain. Scène IX Chez la Camargo. La Camargo est à son clavecin, en silence ; on entend frapper à petits coups. Camargo. Entrez. L’abbé entre. Il lui présente son poignard. La Camargo le considère quelque temps, puis se lève. souffert beaucoup ? L’abbé. souffert beaucoup ?Bon ! c’est l’affaire D’un moment. Camargo. D’un dit ? L’abbé. D’un dit ?Il a dit que la terre Tournait. Camargo. ! rien de plus ? L’abbé. ! rien de plus ?Ah ! qu’il donnait son bien À son bouffon Pippo. Camargo. À son bouffon ! rien de plus ? L’abbé. À son bouffon ! rien de plus ?Non, rien. Camargo. Il porte au petit doigt un diamant. De grâce, Allez me le chercher. L’abbé. Allez me le ne le puis. Camargo. Allez me le ne le place Où vous l’avez laissé n’est pas si loin. L’abbé. Où vous l’avez laissé n’est pas si mais Je ne le puis. Camargo. Je ne le tout ce que je promets, Je le tiens. L’abbé. Je le ce soir. Camargo. Je le ce ? L’abbé. Je le ce ?Mais… — Camargo. Je le ce ? Mais… —Misérable ! Tu ne l’as pas tué. L’abbé. Tu ne l’as pas ! que le ciel m’accable Si je ne l’ai pas fait, madame, en vérité ! Camargo. En ce cas, pourquoi non ? L’abbé. En ce cas, pourquoi non ?Ma foi, je l’ai jeté Dans la mer. Camargo. Dans la ! ce soir, dans la mer ? L’abbé. Dans la ! ce soir, dans la mer ?Oui, madame. Camargo. Alors, c’est un malheur pour vous ; — car, sur mon âme, Je voulais cet anneau. L’abbé. Je voulais cet vous me l’aviez dit, Au moins… Camargo. Au moins…Et sur quoi donc t’en croirai-je, maudit ? Sur quel honneur vas-tu me jurer ? Sur laquelle De tes deux mains de sang ? Où la marque en est-elle ? La chose n’est pas sûre, et tu te peux vanter. — Il fallait lui couper la main, et l’apporter. L’abbé. Madame, il faisait nuit… la mer était prochaine… Je l’ai jeté dedans. Camargo. Je l’ai jeté n’en suis pas certaine. L’abbé. Mais, madame, ce fer est chaud, et saigne encor. Camargo. Ni le sang ni le feu ne sont rares. L’abbé. Ni le sang ni le feu ne sont corps N’est pas si loin, madame ; il se peut qu’on se charge… Camargo. La nuit est trop épaisse, et l’Océan trop large. L’abbé. Mais je suis pâle, moi, tenez. Camargo. Mais je suis pâle, moi, cher abbé, L’étais-je pas ce soir, quand j’ai joué Thisbé Dans l’opéra ? L’abbé. Dans l’opéra ?Madame, au nom du ciel ! Camargo. Dans l’opéra ? Madame, au nom du ciel !Peut-être Qu’en y regardant bien vous l’aurez. — Ma fenêtre Donne sur la mer. Elle sort. L’abbé. Donne sur la — elle est partie, ô Dieu ! J’ai tué mon ami, j’ai mérité le feu, J’ai taché mon pourpoint, et l’on me congédie. C’est la moralité de cette comédie.
aLkicBA. 617cagdqz8.pages.dev/499617cagdqz8.pages.dev/924617cagdqz8.pages.dev/492617cagdqz8.pages.dev/317617cagdqz8.pages.dev/924617cagdqz8.pages.dev/167617cagdqz8.pages.dev/276617cagdqz8.pages.dev/987617cagdqz8.pages.dev/454617cagdqz8.pages.dev/107617cagdqz8.pages.dev/883617cagdqz8.pages.dev/720617cagdqz8.pages.dev/653617cagdqz8.pages.dev/853617cagdqz8.pages.dev/725
fait du feu dans la cheminée paroles